William avant Shakespeare
La mort de son jeune fils a inspiré à Shakespeare la tragédie d’“Hamlet” et à l’Irlandaise Maggie O’Farrell, un beau roman
Maggie O’Farrell situe l’action de son roman en 1596, à Stratford, dans la campagne anglaise. Un garçon de 11 ans, Hamnet, court, essoufflé, le long des rues du bourg. Il cherche de l’aide car Judith, sa soeur jumelle, semble très malade. Où est passée sa fantasque mère ? A une demilieue de là, elle cueille des herbes médicinales dans un pré. Un malaise prémonitoire saisit alors celle qu’on disait sorcière au moment de son mariage avec le jeune précepteur de latin. Lorsqu’elle rentre, Agnès trouve sa fille moite et livide. L’heure est grave, l’inquiétude est grande en des temps où sévit la peste. Une menace plane sur cette famille aux fondements fragiles. Or, malgré les apparences, ce n’est pas Judith que le ménage s’apprête à perdre mais Hamnet. Plus qu’un récit douloureux, l’ouvrage est une immersion dans un champ vibratoire d’émotions et de passions. L’écrivaine recourt, comme à son habitude, à une narration éclatée, non chronologique pour peindre l’aventure d’un lettré rebelle épris d’une femme sauvage de la forêt. Il épousera cette Anne, dite Agnès, contre l’avis de ses parents. Et rejette la tyrannie de son père, un gantier aux manières violentes. Malgré la naissance de ses trois enfants, le jeune homme part à Londres pour y devenir acteur au sein d’une troupe de théâtre. Quatre ans après la mort de son fils, il écrit une pièce intitulée « Hamlet ». Sans jamais le nommer, Maggie O’Farrell raconte William avant Shakespeare. Elle déploie la genèse d’une oeuvre, l’éclosion d’un destin. Sa maîtrise romanesque, sa prose virtuose qui lui ont valu quatre prix littéraires au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, suscitent l’admiration. Une fois de plus, l’auteure de « Quand tu es parti » se renouvelle. Elle n’en continue pas moins d’explorer ses thèmes de prédilection, les liens complexes de la famille et la dérive du couple. « Hamnet », ce grand roman fiévreux, nous dit ce qu’il faut de douleur pour engendrer un chef-d’oeuvre.