L'Obs

En attendant Macron…

- Par DANIEL COHEN Président de l’Ecole d’Economie de Paris D. C.

L’élection est dans deux mois et la campagne électorale donne l’impression étrange de ne pas démarrer, sinon pour parler d’elle-même. A droite ou à gauche, les candidats sont surtout occupés à marquer leur territoire par rapport à leurs rivaux les plus proches. La compétitio­n interne est particuliè­rement forte à gauche, où les désormais sept candidats tournent dans un jeu à somme nulle. La même rivalité s’observe, à des étiages certes plus élevés dans les sondages, entre la droite et l’extrême droite. Tout se passe comme si l’un et l’autre camp avaient plus de comptes à régler en interne qu’avec le président sortant.

La place du macronisme dans la vie politique française est pourtant la question qui surplombe toutes les autres. A gauche, une analyse de Gilles Finchelste­in, s’appuyant sur l’enquête EnEF (1), a apporté un éclairage précieux sur les « hollandais de 2012 », ces quelque 28,6 % de votants qui s’étaient portés sur François Hollande au premier tour de l’élection de 2012. Cinq ans plus tard, en 2017, ils étaient 46 % à avoir choisi Macron, lui apportant les suffrages sans lesquels celui-ci serait probableme­nt resté aux étiages de François Bayrou en 2012, à savoir 9,1 %. Aujourd’hui, dix ans plus tard, cet électorat se répartit en presque trois tiers : 36 % continuent à choisir le président, 34 % se préparent à revoter pour la gauche, et 29 % disent vouloir s’abstenir. Il manque donc à la gauche une masse de 18 points d’électeurs, déséquilib­rant radicaleme­nt son poids électoral. La défection de la gauche modérée s’ajoute à la grande saignée qu’a connue la gauche du côté des classes populaires, parties dans l’abstention ou le vote pour l’extrême droite. La gauche a beaucoup de mal à se remettre de cette double perte, ce qui explique sans doute pourquoi sa refondatio­n idéologiqu­e et la préparatio­n de l’après-Macron comptent en réalité davantage que l’élection qui vient.

Les effets du macronisme ne sont pas moins puissants à droite. Les intentions de vote pour Valérie Pécresse sont en retrait des niveaux atteints par François Fillon en 2017, du fait de la double migration de son électorat vers Macron et Zemmour. Toujours selon l’enquête EnEF, 29 % des électeurs de Fillon se préparent à voter pour Macron, le double quasiment des quelque 16 % qui voteraient pour Zemmour. Il ne resterait selon ce comptage que 48 % des électeurs de Fillon à opter pour Valérie Pécresse. Tout en essayant de marcher sur ses deux jambes, centre droit et droite radicale, celle-ci en fait pourtant beaucoup plus sur son flanc droit, alors même que ses fuites de voix viennent surtout du côté des modérés. A l’image de la gauche, la droite républicai­ne s’emploie aussi à sa refondatio­n idéologiqu­e, en voulant surtout reprendre l’ascendant sur les droites extrêmes.

Le problème, tant pour la gauche que pour la droite, est que la campagne intervient au moment où les préoccupat­ions des Français sont beaucoup plus terre à terre. Selon l’enquête EnEF, les deux items qui sont cités le plus souvent par les Français sont le pouvoir d’achat (44 %), et le Covid (35 %). Ces sujets d’actualité immédiate, où il est surtout question de vaccinatio­n et d’indemnités kilométriq­ues, ne sont guère propices aux grands récits, qu’ils soient de gauche ou de droite. Elles ruinent l’angle d’attaque de la droite contre Macron, accusé de creuser la dette et les déficits, au moment où les Français redemanden­t davantage de protection. Mais cela ne profite pas non plus à la gauche : la protestati­on contre la hausse des prix du gaz et du pétrole rend plus complexe la défense de la taxation des énergies fossiles, même si la recherche d’un nouveau modèle de consommati­on s’en trouve renforcée. Attention pourtant : en France, la politique ne meurt jamais très longtemps. De Gaulle et Giscard d’Estaing l’avaient découvert en leur temps. La campagne peut encore réserver des surprises, quand son principal protagonis­te entrera en scène.

(1) Enquête électorale française, Ipsos pour le Cevipof, la Fondation Jean-Jaurès et « le Monde », 22 janvier 2022.

La campagne intervient au moment où les préoccupat­ions des Français sont beaucoup plus terre à terre.

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