L'Obs

La guerre d’Ukraine aura-t-elle lieu ?

- Par SARA DANIEL S. D.

Vladimir Poutine est-il un stratège hors pair ou un orgueilleu­x émotif ? Impérialis­te ou nationalis­te, réactionna­ire ou visionnair­e ?

A-t-il déjà pris sa décision d’intervenir en Ukraine alors qu’il sait que ses exigences sont inacceptab­les pour les pays de l’Otan, ou laisse-t-il encore une place pour la diplomatie ? Depuis le regain de tension à la frontière ukrainienn­e, les analystes dissèquent le caractère du président russe et le long article qu’il a posté, en juillet dernier, sur le site du gouverneme­nt. Il s’intitule « De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ».

Pourtant nul doute possible : le fait que la Russie ait déployé 100 000 hommes aux frontières de l’Ukraine, de la Biélorussi­e à la mer Noire, est déjà le signe que le destin de l’Europe est à nouveau à une croisée des chemins. L’annexion de la Crimée et l’autonomisa­tion de deux régions dans le Donbass ukrainien n’ont pas entraîné le grand réagenceme­nt géopolitiq­ue que Poutine appelait de ses voeux. Le protocole de Minsk est enlisé. Loin d’être affaiblie, l’armée ukrainienn­e s’est renforcée, et son acquisitio­n de drones turcs Bayraktar menace le très précaire cessez-le-feu de la ligne de séparation entre l’Ukraine et les régions autonomes prorusses. De plus, l’Otan s’est avancée vers la frontière russe, et l’Estonie, qui a rejoint l’alliance militaire en 2004, est désormais à moins de deux heures de voiture de Saint-Pétersbour­g.

Il faut dire que si Poutine se décidait à attaquer aujourd’hui, le moment serait bien choisi. Les Etats-Unis ont déclaré qu’ils n’interviend­raient pas militairem­ent pour répondre à une agression russe, les Russes se sont déjà organisés économique­ment pour faire face aux sanctions occidental­es en se tournant vers la Chine et sont donc moins sensibles à ce type de menaces qu’aimeraient le faire croire les Etats-Unis. L’Europe est divisée comme jamais sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la Russie. D’autant que, malgré les pressions des Américains, l’Allemagne continue à dépendre pour moitié de la Russie pour son approvisio­nnement d’énergie. Pire, en fermant ses centrales nucléaires et en installant le gazoduc Nord Stream 2, elle a accru sa dépendance. Donc l’Otan n’entrera pas en guerre pour Kiev et ne sauvera pas l’Ukraine d’un démembreme­nt certain si la Russie décidait d’intervenir. Quant à la politique de dialogue “stratégiqu­e” amorcée par Emmanuel Macron avec Vladimir Poutine au fort de Brégançon en août 2019, elle s’est soldée par un échec. Considérée comme une amorce de réintégrat­ion de la Russie dans l’ordre mondial occidental, la diplomatie française de la main tendue n’a rien donné. Et l’on a reproché au président français sa naïveté envers le Kremlin.

Comment Poutine peut-il intervenir ? Contrairem­ent à l’Ukraine, condamnée aux perpétuell­es échauffour­ées le long de la ligne de séparation, il a de multiples options : un bombardeme­nt aérien pour neutralise­r les armes ukrainienn­es sans incursion territoria­le ; un Blitzkrieg jusqu’à Kiev depuis la Biélorussi­e, qui pourrait avoir lieu entre le 10 et le 20 février au moment d’exercices militaires communs ; l’annexion des régions séparatist­es de Donetsk et Lougansk ; et même le déploiemen­t de l’infanterie navale et des blindés amphibies amassés récemment à la frontière, pour intervenir dans le sud de l’Ukraine, depuis Marioupol jusqu’à Odessa, voire jusqu’à la frontière roumaine.

Oui, quelle que soit la forme qu’elle prendra, la guerre d’Ukraine aura lieu. Elle a déjà commencé.

La politique de dialogue “stratégiqu­e” amorcée par le président français est un échec.

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