L'Obs

L’Amérindien­ne

Prix Pulitzer 2021, Louise Erdrich raconte le combat des Amérindien­s aux Etats-Unis CELUI QUI VEILLE, PAR LOUISE ERDRICH, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR SARAH GURCEL, ALBIN MICHEL, 560 P., 24 EUROS.

- DIDIER JACOB

Il n’est pas seulement veilleur de nuit dans une usine de pierres d’horlogerie, au fin fond du Dakota du Nord. Il est aussi le président du conseil des Indiens chippewas de Turtle Mountain. Thomas Wazhashk, dont Louise Erdrich retrace le combat, a réellement existé : il était le grand-père de la romancière. Dans un effort désespéré, il a combattu la loi d’émancipati­on, votée par le Congrès américain au milieu des années 1950, qui avait pour objet de « terminer » le statut particulie­r que les Indiens d’Amérique avaient conservé jusqu’alors et, à terme, de les déposséder des terres dont ils avaient pu conserver le contrôle. C’est en relisant les lettres de cet homme courageux que Louise Erdrich a eu l’idée du livre. Elle explique, dans sa postface, qu’elle a écrit le roman « dans un état de forte charge émotionnel­le ». « Il arrivait à mon grand-père de ne dormir que douze heures par semaine. Je savais ce que lui avait coûté la tâche apparemmen­t impossible à laquelle il s’était attelé

– éviter la terminatio­n – et ce qu’elle avait coûté à notre famille, ainsi qu’au Pays indien dans son entier. »

Sans aucun moyen financier face au rouleau compresseu­r fédéral, la lutte acharnée de Thomas offre au récit une solide colonne vertébrale. Mais ce sont les personnage­s féminins qui emportent l’adhésion : Rose, la femme entêtée mais vaillante de Thomas, et surtout Patrice, la jeune ouvrière pauvre qui décide de partir à la recherche de sa soeur, dont elle est sans nouvelles depuis qu’elle est partie s’installer à Minneapoli­s. Si l’on admirera moins, dans ce nouveau roman d’Erdrich, la splendeur stylistiqu­e ou l’originalit­é de l’imaginaire, la descriptio­n de la vie des ouvrières de la réserve de Turtle Mountain fera date, en revanche, pour sa puissance réaliste toute balzacienn­e. Nul ne saurait rester insensible à la peinture de cette communauté indienne que la romancière décrit avec un mélange d’amour, de réalisme et d’empathie.

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