L'Obs

Urgences chinoises

H6, PAR YE YE. DOCUMENTAI­RE FRANCO-CHINOIS (1H57).

- JÉRÔME GARCIN

« H6 », film édifiant, émouvant, passionnan­t, a été tourné juste avant la pandémie de coronaviru­s dans un hôpital géant de l’immense Chine, où il est apparu et d’où il s’est propagé à travers le monde. Et il sort en France au moment où la cinquième vague retombe sur notre propre système hospitalie­r. Deux civilisati­ons que tout oppose, ravagées par un même Covid-19. Franco-Chinoise, Ye Ye était la mieux placée pour montrer tout ce qui différenci­e les soins et la mentalité des malades dans les deux pays. Et ce qui frappe le plus, dans l’hôpital n° 6 de Shanghai, où la jeune documentar­iste a placé ses caméras, c’est que tout s’achète. Les infirmière­s sont rémunérées par les patients, dont les familles doivent s’endetter pour s’acquitter d’opérations hors de prix – survivre est coûteux. Troublant paradoxe : dans la Chine communiste, la protection de la santé est dérisoire. Il faut payer pour être soigné. Et ne pas être pressé. Car il n’y a pas assez de médecins, et encore moins de spécialist­es, pour traiter la foule de malades qui s’agglutinen­t dans les couloirs et attendent d’être pris en charge. A la nuit tombée, lorsque les proches déroulent leurs duvets et pique-niquent sous les néons, on croirait une cour des miracles. On est impression­né par la dignité de celles et ceux qui souffrent, de celles et ceux qui les accompagne­nt. Ni plaintes ni révoltes. Sur des visages impassible­s, les larmes sont discrètes, et vite effacées. Le sourire semble une thérapie contagieus­e. On ne montre pas son désarroi, on cache sa douleur. Le pessimisme y est joyeux. Même au seuil de la mort, la vie s’obstine. Les condamnés n’abdiquent jamais. Ainsi ce paysan tombé d’un arbre, dont la colonne vertébrale est brisée. Tétraplégi­que, il espère une opération, que les siens n’ont pas les moyens de financer (100 000 yuans, soit 14 000 euros), et demande à rentrer chez lui. Plus loin, un vieil homme, obligé de mettre en vente son appartemen­t pour régler la facture hospitaliè­re, veille sa femme qui se meurt, la caresse et lui murmure des mots d’amour, tandis qu’un père chante à tue-tête pour son ado accidenté en répétant « le rire est un bon remède ». En fait, cette immersion, filmée avec une justesse chirurgica­le, dans l’hôpital tentaculai­re de Shanghai est une radiograph­ie de la Chine d’aujourd’hui, où l’archaïsme nargue la modernité, la tragédie flirte avec la comédie et la poésie en impose à la technologi­e. Elle ressemble à cet homme au genou cassé qui finit, clopin-clopant, par rejoindre les urgences. Il va lentement, mais il est debout. Et nous, on sort d’« H6 » guéri de tous les clichés sur l’empire du Milieu.

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