“NOTRE PAYS S’EST REMPLI DE MILITAIRES”
La grande chanteuse malienne Oumou Sangaré avait applaudi les soldats français en 2013. Face à la crise qui s’aggrave, elle sort de sa réserve habituelle
La parole politique de la chanteuse malienne Oumou Sangaré, 55 ans, est rare. Engagée contre la polygamie et les mariages forcés, ambassadrice de bonne volonté de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), femme d’a aires polyvalente (hôtels, taxis…), elle vient de pointer les conséquences « désastreuses » des sanctions de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) contre le Mali. Pour « l’Obs », la grande dame de la musique du Wassoulou (1), sa région natale, s’exprime sur la crise dans laquelle s’enfonce son pays.
Etes-vous inquiète pour le Mali ?
Oui. Très. Mon pays est a aibli par plusieurs années de conflits et de défis multidimensionnels. En le sanctionnant, c’est comme si on voulait sa disparition. Les pauvres populations maliennes n’ont rien fait pour mériter cela. Je ne m’exprime jamais sur la politique, ce n’est pas mon rôle. Mais face à la sou rance des plus démunis sur lesquels ces sanctions vont peser, je ne peux pas me taire et fermer les yeux. La Cedeao doit revoir sa décision. La France peut jouer un rôle pour aider à trouver un compromis.
La sécurité du pays ne s’est pas améliorée malgré la présence militaire française depuis 2013. A qui la faute ?
Je ne rejette la faute sur personne. Au lieu d’accuser les autres, balayons devant notre porte. Les présidents successifs maliens auraient pu éviter qu’on en arrive là.
Qu’avez-vous ressenti lorsque les troupes françaises sont entrées au Mali ?
J’ai applaudi. Le Mali a applaudi. Le monde entier a applaudi. Nous étions fiers. Un jour, sur le chemin menant à mon champ, j’ai croisé un convoi de soldats français. Je suis descendue de mon véhicule, et j’ai salué les militaires. J’ai agité les bras, j’ai crié : « Bravo la France ! Bravo la France ! » Beaucoup de passants ont fait comme moi. J’étais tellement contente. Mon pays était libéré. Pour nous, cela signifiait la fin de la guerre, des djihadistes et de la sou rance. Je me souviens encore des artistes du Nord qui ne pouvaient plus chanter, de ces amis que nous avons accueillis à Bamako car ils étaient menacés de mort.
Mais le pire était encore à venir. Des villages ont ensuite été brûlés en pleine nuit, des femmes enceintes et des bébés sont morts calcinés dans leur sommeil. Du jamais-vu au Mali. Pas une maison n’a été épargnée par la mort. On a perdu tellement de jeunes militaires, de civils... Nous ne comprenons pas pourquoi nous en sommes arrivés là. Depuis neuf ans, notre pays s’est rempli de militaires : les Français, mais aussi les forces des pays de la région sahélienne, celles de la communauté internationale [à travers notamment la Minusma, NDLR]. En face, quelques milliers de djihadistes éparpillés. Comment n’ont-ils pas réussi à les neutraliser ?
Les manifestations d’hostilité à la présence française se multiplient dans les rues de Bamako.
La population se plaint, mais ce sont surtout les jeunes qui s’agitent. Ils sont de leur temps. Ils sortent dans les rues pour dire leur ras-le-bol face à la dégradation de la situation sécuritaire. Ils sont séduits par le discours « antisystème ». La France, l’ancien pays colonisateur, est un bouc émissaire facile. C’est un peu comme vos « gilets jaunes » ! Mais nous sommes liés par le sang et par l’histoire avec la France. Il y a tellement d’enfants français chez nous, tellement d’enfants maliens chez vous. On ne pourra pas se diviser, ni se séparer comme ça. Nos dirigeants doivent s’asseoir, se concerter, s’entendre avant qu’il ne soit trop tard.
La France doit-elle quitter le Mali ?
Ma voix ne compte pas, je ne suis qu’une chanteuse. Mais je ne souhaite pas un divorce brutal. La France doit se poser la question de savoir pourquoi les Maliens lui en veulent à ce point. C’est au Mali de décider si la France reste ou pas.
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(1) Son nouvel album « Timbuktu » sort le 29 avril chez World Circuit/BMG.
Elle sera en concert à la Cigale, à Paris, le 15 mai.