L'Obs

LA CYD SULFURIQUE

TOUS EN SCÈNE

- FRANÇOIS FORESTIER

Comédie musicale américaine de Vincente Minnelli (1953). Avec Fred Astaire, Cyd Charisse. 1h50.

C’est l’une des plus belles comédies musicales du monde. Fred Astaire danse avec Cyd Charisse dans un New York mangé par la nuit, en « Top Technicolo­r », et le conte passe de la mélancolie du temps perdu à la joie d’une chorégraph­ie enthousias­mante. L’âge d’or du musical touche à sa fin, en 1953, les grands studios (ici, la MGM) vont être démantelés, l’Amérique invente la guerre froide, et jamais Cyd n’a été plus sexy, longues jambes parfaites, robe moulante sublime, silhouette de rêve… En quinze numéros de danse, Vincente Minnelli raconte l’histoire d’un show raté, calqué sur la légende de Faust, qu’un danseur vieillissa­nt (Astaire a alors 54 ans) sauve de la déroute et transforme en succès – et en love story, notamment avec le ballet « Girl Hunt », à la fin, inspiré des romans noirs de Mickey Spillane. Dans les années 1960 et 1970, quand le film passait dans les salles d’art et d’essai, il rétrécissa­it au fil des représenta­tions. C’était bizarre. C’est en discutant avec un gars du métier que j’ai compris : les projection­nistes successifs, séduits par la beauté de Cyd Charisse, coupaient certains numéros de danse et gardaient la pellicule pour eux. Du coup, « Tous en scène » passait de 110 à 90 minutes, puis à 85 minutes, au risque de devenir un court-métrage. Par chance, le film est aujourd’hui restauré dans son intégralit­é, et je m’en voudrais de ne pas tirer mon chapeau à Leroy Daniels, le cireur de chaussures qui danse avec Fred Astaire dans la scène « Shine on Your Shoes ». C’était un vrai cireur, qui faisait son travail en rythme, pour le plus grand plaisir des clients. A 23 ans, n’ayant jamais pris un cours de danse, il casse la baraque en faisant claquer ses brosses et ses chiffons. Mais, acteur non profession­nel (et noir), il n’a pas eu le droit d’être cité au générique… En 1976, Cyd Charisse, venue à Cannes présenter « That’s Entertainm­ent ! », montage des meilleurs moments de danse de Hollywood, lui a rendu hommage, ainsi qu’à Fred Astaire qui, dit-elle, « avait un sens du rythme surnaturel ». A chaque fois que je vois « Tous en scène », je me lève à la fin, certain de pouvoir faire des claquettes dans la rue (mais non). Preuve que le cinéma, c’est magique.

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