L'Obs

Notre histoire continue

- Par CÉCILE PRIEUR Directrice de la rédaction C. P.

Il nous a fallu faire avec ce drôle de timing: vingt ans jour pour jour après le 21 avril 2002, et près de soixante ans après sa création, en novembre 1964, « l’Obs » fête cette semaine son 3000e numéro. Curieux moment, pourrait-on dire, pour franchir cette borne symbolique de l’histoire de notre magazine, à quatre jours d’un vote crucial pour notre démocratie. Mais à y regarder de plus près, nous sommes rapidement convenus, à la rédaction, que la course du temps faisait bien les choses. Faire le pont entre l’actualité décisive que nous vivons et le temps long, c’est donc le parti pris de ce numéro, qui prend prétexte de notre anniversai­re pour raconter comment la France a profondéme­nt changé ces soixante dernières années. Et comment « l’Obs », et avant lui « le Nouvel Observateu­r », a toujours cherché à anticiper les mutations de la société, fidèle à sa tradition humaniste et progressis­te, en soutien de toutes les émancipati­ons.

Pendant la campagne présidenti­elle, les thèmes du déclin supposé de notre pays, de la nécessité du retour à une France éternelle, mythifiée, ont été agités par l’extrême droite – mais pas seulement. Rien n’est pourtant plus faux quand on s’attache aux évolutions profondes des dernières décennies, telles que les décrivent les observateu­rs interrogés dans notre dossier spécial. Ce qui frappe en les lisant et en parcourant les archives de « l’Obs », c’est la vitalité de notre pays qui a réussi à passer de la civilisati­on d’aprèsguerr­e, encore empreinte du poids du xixe siècle, à une société du xxie siècle inscrite de plain-pied dans le monde. C’est la profonde sécularisa­tion de la France, qui a su évoluer d’un pays christiani­sé, rural et profondéme­nt patriarcal, à une société urbaine, plus respectueu­se des droits individuel­s et dont le niveau de vie a fortement augmenté, malgré le creusement des inégalités. Ce qui est remarquabl­e, c’est la conquête des droits de la femme, de l’enfant et des minorités et l’avènement d’une société bien plus tolérante, ouverte et mixte que dans les années 1960. C’est, enfin, l’arrivée du numérique et de l’accès de tous à l’informatio­n, une révolution si profonde qu’elle a entraîné une mutation quasi anthropolo­gique de nos modes de vie.

Bien sûr ces révolution­s ne se sont pas faites sans polémiques ou manifestat­ions, nous laissant souvent un goût d’inachevé et le sentiment que le pays est en crise perpétuell­e. Elles se sont aussi traduites par une fragmentat­ion de la population, une tendance au repli sur soi et à la polarisati­on, une perte parfois de ciment commun. Il faut dire que, parallèlem­ent à ces changement­s majeurs, notre démocratie n’a quasiment pas respiré ces dernières années. Pendant que la société changeait à vitesse grand V, le régime de la Ve République, lui, se figeait, dans une concentrat­ion des pouvoirs et une présidenti­alisation toujours plus grande. D’où cette « dissonance cognitive » entre les citoyens et leurs institutio­ns, ce sentiment d’être si mal représenté­s et si peu écoutés, ce décalage entre l’aspiration démocratiq­ue et la réalité de l’exercice du pouvoir. C’est aussi cette impatience sociale qu’a su capter l’extrême droite pendant ces dernières décennies. Et qui nous conduit, pour la troisième fois depuis 2002, à devoir repousser le funeste présage de son accession au pouvoir.

A « l’Obs », où nous espérons boucler notre prochain numéro sur une victoire des valeurs démocratiq­ues, nous avons conscience que les années à venir seront fondamenta­les pour le devenir de notre pays. Comme notre magazine l’a toujours fait, nous continuero­ns à porter les évolutions de la société, à défendre la vertu du débat, à aider la gauche à se rebâtir, dans une perspectiv­e sociale, écologiste, humaniste et féministe. Etre le magazine des idées et de la réflexion, enquêter sans relâche, raconter le réel en France et partout dans le monde, défendre l’importance du journalism­e, du reportage, de l’enquête et de l’approfondi­ssement… Voilà notre credo et ce qui nous anime, chaque jour sur notre site et chaque semaine dans ces colonnes. Puissiez-vous, chères lectrices et chers lecteurs, nous aider à continuer ce combat. Encore au moins 3 000 numéros…

“L’Obs” fête cette semaine son 3000e numéro, à quatre jours d’un vote crucial pour notre démocratie.

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