L'Obs

La guerre selon Biden

- Par SARA DANIEL S. D.

C’est un incroyable camouflet pour Vladimir Poutine : le croiseur « Moskva », vaisseau amiral de sa flotte en mer Noire, a coulé jeudi 14 avril après avoir été touché par deux missiles ukrainiens. Cette humiliatio­n fait craindre une escalade au moment où la Russie accuse les forces ukrainienn­es de bombarder des villages sur son territoire. Car les services de renseignem­ent américains, particuliè­rement fiables ces derniers mois, redoutent que Moscou utilise cet alibi pour mettre une de ses menaces à exécution : utiliser des armes nucléaires tactiques en Ukraine…

Est-ce pour cela que l’on assiste, parallèlem­ent, à une montée en puissance de l’implicatio­n des Etats-Unis aux côtés des Ukrainiens ? Beaucoup ont souligné l’escalade verbale propre au président Biden, qui a qualifié de « génocide » les crimes de guerre et contre l’humanité commis par les Russes. Un terme si fort que son emploi pourrait justifier à lui seul une interventi­on… Biden, à Varsovie, avait aussi déclaré à propos de Poutine : « Pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir ! », une déclaratio­n fracassant­e qui a obligé son équipe à se confondre en explicatio­ns. Dans le même temps, on a assisté à une augmentati­on des forces américaine­s sur le continent européen : 100 000 soldats s’y trouvent désormais, un nombre jamais vu depuis 1997 et que les pays du flanc est de l’Otan aimeraient permanent.

L’Amérique se prépare-t-elle à la guerre ? Joe Biden a présenté au Congrès un budget de défense de 813 milliards de dollars, en hausse de 4 % par rapport à l’an dernier, et les Etats-Unis vont pour la première fois fournir des armes lourdes à l’Ukraine, en particulie­r des howitzers (obusiers) et des hélicoptèr­es de combat. Au total, l’aide militaire américaine se chiffre ainsi à 800 millions de dollars. Elle comprend aussi un volet de renseignem­ents : selon le « Wall Street Journal », « une nouvelle doctrine a été mise au point à Washington qui donne la possibilit­é aux services de partager les données qui permettron­t à Kiev d’avoir une image très précise du dispositif militaire russe mis en place dans le Donbass et la Crimée ». Pour Biden, il s’agit d’aider au maximum les Ukrainiens sans aller jusqu’à s’impliquer directemen­t afin de rester concentré sur l’autre menace : celle de la Chine. D’autant qu’infliger une défaite, au moins stratégiqu­e, aux Russes pourrait être le meilleur message à envoyer aux Chinois. L’Occident n’est pas aussi décadent que Pékin et Moscou l’imaginent. Et l’allié russe de la Chine, c’est une évidence, sortira profondéme­nt affaibli du conflit actuel.

La guerre en Ukraine a aussi, par ailleurs, des vertus pour l’économie américaine. D’abord, elle a incité les Européens à renforcer leurs armées : l’Allemagne, par exemple, a décidé de consacrer 100 milliards d’euros à la modernisat­ion de la Bundeswehr et va acheter trente-cinq F-35 à Lockheed Martin. Quant à l’Eurodrone, il sera équipé d’un moteur fabriqué par General Electric. Ensuite, les Etats-Unis vont fournir 15 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié à l’Europe. A terme, l’objectif est de remplacer complèteme­nt le gaz russe qui représenta­it de 30 % à 40 % de la consommati­on européenne. Enfin, les fermiers américains sont les gagnants de la redistribu­tion alimentair­e mondiale. Le Midwest deviendra bientôt le nouveau grenier à blé de la planète, en lieu et place de la Russie et de l’Ukraine. Des succès qui permettron­t peut-être à « Joe le gaffeur » de remonter sa côte de popularité : seuls 12 % des Américains lui font actuelleme­nt confiance dans la manière dont il gère la crise ukrainienn­e, alors même qu’il semble y agir de main de maître.

Infliger une défaite aux Russes serait le meilleur message à envoyer aux Chinois.

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