Le vote blanc et le vote noir
Il y a dans le vote blanc un malentendu qui ne se dissipera jamais, certains estimant que c’est la meilleure façon de faire « entendre » leur voix. L’individu qui vote blanc s’imagine exprimer une indignation. A la différence du vote nul, qui pourrait encore bénéficier de l’excuse de l’invalidité du document, ou de l’abstention, qui pourrait parfois s’expliquer par des facteurs non liés à une idéologie, celui qui vote blanc souhaiterait qu’on sache qu’il n’a de sympathie pour aucune des candidatures. En somme, qu’on le veuille ou non, il refuse consciemment d’exercer ce droit civique pour lequel se sont battus des citoyens avant lui, au prix de leur vie. Il bombera le torse, revendiquera sa liberté de ne pas choisir, oubliant que les politiques les plus nauséeuses parient sur de telles capitulations puisque leurs ouailles, elles, seront au rendez-vous.
Je vis en Amérique depuis deux décennies. J’ai assisté en 2016 à l’appel au vote blanc lancé par les supporters du démocrate Bernie Sanders lorsque Hillary Clinton, démocrate comme ce dernier et victorieuse aux primaires de leur parti, était désormais opposée à Donald Trump. Certes, ce n’était pas cela seulement qui allait expliquer l’échec de Clinton à la présidentielle. D’une part elle traînait des casseroles, notamment avec l’enquête sur son adresse privée de courriels et, d’autre part, elle subissait l’ingérence de la Russie dans la campagne américaine pendant que Donald Trump réveillait l’orgueil de la suprématie blanche, ouvrant par conséquent l’une des plaies les plus pestilentielles des Etats-Unis : le racisme.
Mais si tout cela jouait contre Clinton, il fallait y ajouter le comportement des partisans de Bernie Sanders qui brandissaient le « ni Hillary ni Donald » et exhortaient à ne pas voter car, d’après eux, aucune des candidatures ne méritait leur auguste voix. Parallèlement, les électeurs de Trump faisaient du porte-à-porte pour convaincre la population de soutenir leur leader. Hillary était donnée gagnante même par ceux qui promouvaient le vote blanc. Pourquoi alors voter pour elle ? Le verdict fut le contraire. Trump l’emporta.
Si on applique cette analyse à la campagne présidentielle française, nous voilà dans le « ni Macron ni Le Pen » professé par les doctrinaires du vote blanc. Or on n’a pas demandé au peuple d’écarter les deux candidatures qui restent et qui ont été librement choisies par les Français. La démocratie n’est pas une addition de frustrations, encore moins une charge portée par ceux dont les candidats n’ont pas reçu le ticket pour la finale et qui voudraient subrepticement installer le chaos. Il ne s’agit donc pas de « ni Macron ni Le Pen », il est question de « Macron ou Le Pen ». Constitutionnellement, le « ni ni » est un coup d’épée dans l’eau, et le message qui en découle ne satisfait que leurs auteurs.
Je discutais encore avec des Congolais sur cette question du vote blanc. Leur avis était unanime : ce vote est un caprice de ceux qui ne savent plus que faire de leur pouvoir de citoyen. Un peu comme si ces électeurs étaient gavés et jouaient avec leur nourriture pendant qu’ailleurs les gens meurent de faim. Même constat chez d’autres soeurs et frères de certaines contrées de l’Afrique subsaharienne qui rêveraient de bénéficier un jour du luxe de voter blanc. Pour l’heure ils ont l’obligation de voter pour le président qui squatte le pouvoir depuis plus de trois décennies. Et c’est ce qu’ils appellent là-bas le « vote noir »…
Il ne s’agit pas de “ni Macron ni Le Pen”, mais de “Macron ou Le Pen”.