L'Obs

Faut-il élire autrement le président de la République ? “Il faut un choix clair et compris de tous”

“Notre mode de scrutin ne fonctionne plus”

- Propos recueillis par R.F. Propos recueillis par R. F. FRANÇOIS-NOËL BUFFET Sénateur (LR) du Rhône, président de la commission des Lois du Sénat

Les résultats du premier tour de la présidenti­elle renforcent-ils votre souhait de changer son mode de scrutin ?

Cela conforte évidemment ma conviction. Le premier tour a montré de manière paroxystiq­ue que notre mode de scrutin présidenti­el, qui contraint l’expression des électeurs, ne fonctionne plus : 25 % des électeurs certains d’aller voter ne savaient pas, à la veille du vote, quel nom ils allaient mettre dans l’urne. Et 25 % se sont abstenus. Un nombre incalculab­le a en outre nourri un triple vote utile inédit. Cela donne un reflet très imprécis du paysage politique, qui conduit ses acteurs et commentate­urs à tirer des conclusion­s hâtives (et fausses) des résultats. On entend dire qu’il y a trois « blocs », car on assimile ce vote utile à un vote d’adhésion, mais c’est plus complexe. Le vote Mélenchon, par exemple, serait composé à 50 % de vote utile et, pourtant, La France insoumise propose à la gauche, pour les législativ­es, une répartitio­n des investitur­es proportion­nelle aux scores du premier tour ! Au nom de la stabilité institutio­nnelle, on jette un voile pudique sur le fait que le président élu au second tour le sera grâce à un plébiscite fabriqué, artificiel. On met la poussière sous le tapis. Au premier tour, Emmanuel Macron rassemble 20 % des voix des inscrits. Quel que soit le résultat du second tour, ce ne sera pas, comme il le voudrait, un vote d’adhésion à son projet.

En quoi le jugement majoritair­e serait-il une meilleure méthode ?

Le jugement majoritair­e répond à tous les travers du scrutin uninominal. Adieu le vote utile, qui force à choisir un candidat mieux placé au détriment de son préféré, puisque les électeurs s’exprimeron­t sur tous les candidats, et pourront le faire avec nuance. Une partie du vote blanc n’aura, en outre, plus lieu d’être, car un électeur pourra mettre « A rejeter » à tous les candidats. Enfin, le jugement majoritair­e est aussi une réponse au paradoxe du scrutin uninominal à deux tours, qui fait que « le vainqueur de Condorcet », c’est-à-dire le candidat préféré à chacun des autres, ne l’emporte pas toujours. Cela a été le cas en 2002, avec Lionel Jospin, puis en 2007, avec François Bayrou.

N’y a-t-il pas un risque politique, pour un président, de l’emporter avec « seulement » une mention « Assez bien » ?

C’est une question de philosophi­e. Pour la théorie du choix social, l’objectif de l’élection est de mesurer la légitimité réelle de chaque candidat. Pour d’autres, l’idée est juste de choisir un chef, fort, pour diriger le pays. Le vrai débat est là. Le jugement majoritair­e peut jeter une lumière crue sur ce que pensent réellement les gens, mais c’est le jeu de la démocratie. La vérité estelle si difficile à regarder en face ?

Certaines associatio­ns réclament un changement du mode de scrutin pour l’élection présidenti­elle, en faveur du jugement majoritair­e. Qu’en pensez-vous ?

Je trouve cette demande très étonnante. L’élection présidenti­elle doit obéir à une organisati­on qui permet la sécurité et l’assurance d’avoir un choix clair et compris par tous. Les résultats doivent être transparen­ts, lisibles. Il ne doit pas y avoir le moindre doute, comme cela a pu être le cas lors de la Primaire populaire, au risque de nuire à la valeur du scrutin et donc à l’adhésion des Français au vote. Pour cela, le scrutin uninominal à deux tours est le système le plus élaboré. Il est simple et permet surtout, grâce au second tour, de nourrir des rapprochem­ents, des alliances autour de valeurs communes, pour dégager une majorité, donc une légitimité, permettant de gouverner. Le président ne peut pas seulement être le « moins détesté » des candidats. Symbolique­ment, il doit pouvoir dire que la majorité des gens ont voté pour lui. Philosophi­quement, c’est l’idée gaullienne d’une rencontre du candidat, du politique, avec les Français.

Mais le scrutin uninominal est décrié et la légitimité du président ainsi élu, toujours plus contestée, ce qui nourrit l’abstention. Cette élection en est une nouvelle fois la preuve…

Je ne suis pas convaincu que le jugement majoritair­e permette d’augmenter la participat­ion. Le système électoral ne peut pas remplir toutes les fonctions qu’on aimerait qu’il remplisse. Avoir plusieurs candidats au premier tour permet déjà de bénéficier d’un vrai choix. Ils étaient tout de même douze cette année. Mais il est de la responsabi­lité de chacun, ensuite, d’exercer son droit de vote, c’est fondamenta­l. C’est la force, ou la faiblesse, de notre système électoral : le droit de vote est une liberté mais aussi un devoir, une responsabi­lité individuel­le. Pour la légitimité du président élu, je rappellera­i juste que Jacques Chirac avait obtenu moins de 20 % des voix en 2002, moins de 16 % en 1995, et que sa légitimité n’a pas été contestée. De toute la Ve République, aucun candidat n’a jamais été majoritair­e à lui tout seul !

Que faire alors, notamment pour lutter contre l’abstention ?

On peut réfléchir au vote obligatoir­e, à la reconnaiss­ance du vote blanc… Mais, comme c’est le cas pour le jugement majoritair­e, c’est moins le mode de scrutin qui compte que la capacité des candidats à mobiliser les électeurs. Il appartient aux candidats, aux élus, aux partis, à tous ceux qui animent la vie politique, de rendre plus intéressan­ts les débats, et de redonner confiance aux Français. La clé est là ! La confiance se gagne, se construit. Elle ne se décrète pas par un nouveau système de vote.

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CHLOÉ RIDEL Haute fonctionna­ire, directrice adjointe de l’Institut Rousseau et présidente de l’associatio­n Mieux Voter, en faveur du jugement majoritair­e
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