L'Obs

Le scénario noir des 100 premiers jours

Que ferait la patronne du RN si elle était élue présidente de la République? Compositio­n de son équipe, référendum sur l’immigratio­n, bras de fer avec l’Europe… “L’Obs” s’est penché sur son programme pour imaginer ses débuts à l’Elysée

- Par MATTHIEU ARON, LUCAS BUREL, SARAH HALIFA-LEGRAND, BORIS MANENTI et MAËL THIERRY

Et si le scénario que beaucoup n’osent imaginer arrivait? Et si Marine Le Pen entrait à l’Elysée le 24 avril? Avec le retour de l’extrême droite au pouvoir, une première depuis le régime de Vichy, quel serait le climat dans le pays? Quelle serait l’ampleur des manifestat­ions? Des actions violentes? Déjà, après le premier tour, des militants antifascis­tes appelaient à la résistance : « Face au fascisme, notre tâche principale est de s’organiser militairem­ent avant de se faire écraser… », prévenait dans un tweet le 13 avril Anasse Kazib, ex du NPA qui n’avait pas réussi à réunir les 500 signatures pour être candidat. Autre inconnue: la haute administra­tion se plierait-elle au résultat des urnes ? Impossible à ce jour de répondre à ces questions. Mais à partir du programme de la candidate et de ses déclaratio­ns, « l’Obs » a tenté d’établir à quoi ressembler­aient les cent premiers jours d’une France dirigée par l’extrême droite.

Peu après 20 heures ce 24 avril, Marine Le Pen a eu la confirmati­on de sa victoire : l’électorat populaire et les campagnes ont massivemen­t voté pour elle, comme au premier tour. Beaucoup d’électeurs de JeanLuc Mélenchon ont suivi son mot d’ordre – « pas une voix à Mme Le Pen » – et se sont abstenus. Le monde politique, intellectu­el, artistique, la gauche, tous sont sous le choc. Les commentate­urs analysent la vague populiste qui, après le Brexit et Trump aux Etats-Unis, touche le pays des Lumières.

Comme elle l’avait indiqué sur FranceInte­r, Marine Le Pen passe son premier coup de fil à l’homme auquel elle doit tout: Jean-Marie Le Pen, le fondateur du Front national, celui qui avait comparé les chambres à gaz à un détail de l’histoire et qu’elle avait fini par exclure de son parti pour normaliser son image. Vingt ans auparavant, il avait été battu à 82 % par Jacques Chirac. Ce 24 avril, père et fille célèbrent ensemble leur triomphe.

Très vite, la présidente s’attelle à la compositio­n de son équipe. Pendant la campagne, elle avait annoncé avoir de nombreux talents en réserve, sans en citer aucun. A l’heure dite, les candidats crédibles ne se bousculent pas. Quel Premier ministre? « Personne ne l’annonce à l’avance », avaitelle évacué avant l’élection, oubliant

PÈRE ET FILLE CÉLÈBRENT LEUR TRIOMPHE

qu’en 2017 elle promettait le poste à Nicolas Dupont-Aignan. Et quels ministres ? Pas question de reprendre des cadres partis chez Eric Zemmour, comme Nicolas Bay. Pas de Marion Maréchal non plus. Reste son noyau, des fidèles pas du tout expériment­és pour occuper de grands ministères : Louis Aliot, maire de Perpignan, David Rachline, ancien président du Front national de la Jeunesse et maire de Fréjus, Renaud Labaye, son directeur de cabinet. L’eurodéputé russophile Thierry Mariani est fléché pour les Affaires étrangères. Comme annoncé, l’ancien magistrat venu de LR Jean-Paul Garraud est à la Justice, l’essayiste Hervé Juvin à l’Ecologie pour entamer le démantèlem­ent des éoliennes, et le fidèle Jordan Bardella, dont elle disait qu’il ferait « un bon ministre », occupe un poste clé. Chez LR, Marine Le Pen a lancé de nombreux appels mais ne rallie parmi les élus que ceux qui avaient indiqué clairement ne pas voter Macron au second tour, comme Eric Ciotti ou Nadine Morano. Suffisant pour conquérir une majorité aux législativ­es de juin ? Beaucoup de Français espèrent une cohabitati­on pour instaurer un contre-pouvoir.

La nouvelle présidente annonce sa première mesure : son référendum sur l’immigratio­n – via l’article 11 et contre l’avis de la quasiunani­mité des juristes qui dénoncent un « coup d’Etat constituti­onnel ». Aux Français, elle demande de valider la clé de voûte de son programme : une réforme instaurant la préférence nationale et la primauté du droit national. Il s’agit de rendre constituti­onnelle la discrimina­tion des étrangers à l’emploi, aux aides sociales et au logement. Ainsi, « l’accès des étrangers à tout emploi public ou privé [...] est fixé par la loi ». Une « rupture historique » face au principe d’égalité entre les hommes, selon le professeur de Droit Dominique Rousseau (voir p. 48).

Sur la base du nouveau bloc de constituti­onnalité lepéniste, la loi pourra même aller jusqu’à « interdire » aux étrangers et aux binationau­x d’obtenir un travail « dans l’administra­tion et les entreprise­s publiques », mais aussi dans des sociétés privées et associatio­ns « chargées d’une mission de service public ». Soit un très vaste secteur d’activité dans le domaine du social, de la santé, à La Poste, EDF ou la SNCF… Après avoir été écartés de ces emplois, privés d’une grande partie des aides sociales jusque-là garanties par l’Etat, les étrangers au chômage pendant plus d’un an seront expulsés – il en sera de même pour les fichés S et condamnés pour n’importe quel crime ou délit. Si le projet ne porte pas le nom de « remigratio­n », comme chez son ancien concurrent Eric Zemmour, l’objectif est bien d’inciter le plus grand nombre d’étrangers à quitter le territoire. Tout cela afin que rien ne puisse « modifier la compositio­n et l’identité du peuple français », précise le projet dans une allusion à peine voilée à la théorie raciste et complotist­e du « grand remplaceme­nt ».

La « révolution référendai­re », l’autre axe de sa refonte de nos institutio­ns, promet de faire glisser la France vers un régime illibéral. Marine Le Pen compte « faciliter » l’accès au référendum afin de « redonner la parole au peuple » – un refrain vieux de vingt ans au FN. En réalité, ce recours systématiq­ue au référendum d’initiative citoyenne (RIC) permettra de contourner le Parlement et le Conseil constituti­onnel. Elle a promis que ces RIC devront respecter les « intérêts nationaux ». Une notion assez vague qui devrait la laisser, in fine, décider des questions soumises à la consultati­on populaire.

Son premier déplacemen­t à l’étranger ? Bruxelles. Hors de question d’aller cirer les bottes des Allemands comme Emmanuel Macron. Sitôt élue, Marine Le Pen monte donc dans le Falcon présidenti­el, direction la capitale belge pour mettre un bon coup de pied dans cette « prétendue constructi­on européenne hors sol ». Elle a une liste d’exigences longue comme le bras : renégociat­ion de l’accord de Schengen pour enrayer l’immigratio­n, restrictio­n de l’accès des citoyens européens aux droits sociaux, réduction unilatéral­e de 20 % (5 milliards d’euros) de la contributi­on française

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En meeting avec Jordan Bardella et Hervé Juvin, lors des élections européenne­s de 2019.

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