L'Obs

Le “chiffon rouge” de la retraite à 65 ans

Mal préparé et politiquem­ent explosif, le projet d’Emmanuel Macron de reculer l’âge légal de départ à la retraite est massivemen­t rejeté. Décryptage d’une promesse de campagne qui mêle équations financière­s et… électorale­s

- Par ALEXANDRE LE DROLLEC et BAPTISTE LEGRAND

Des visages fermés. Des regards inquiets. De l’hostilité mêlée à de la colère. Pour Emmanuel Macron, cette campagne qui s’achève n’aura duré que sept semaines. Mais lui fallait-il davantage pour mesurer à quel point les Français rejettent en bloc sa mesure phare, celle qui restera comme un marqueur indélébile de son programme : la retraite à 65 ans ? Depuis plusieurs semaines déjà, des membres de son entourage, les yeux rivés sur les enquêtes d’opinion, tentaient de l’alerter sur le caractère explosif de cette réforme. « Les signaux sur le terrain sont mauvais », lui glissait-on dès la mi-mars.

Dès lors qu’il s’est décidé à descendre de son Aventin élyséen pour mener camgénéral­e, pagne, le candidat Macron n’a pu que le vérifier : impossible de faire un pas sans être interpellé sur cet abrasif dossier des retraites. Il y a eu ce routier de 48 ans, à Dijon, qui lui a demandé, les yeux dans les yeux : « Comment je vais faire pour conduire mon camion, à 65 ans ? » Ou cette Bretonne qui, à Spézet, dans le Finistère, l’a exhorté à « faire quelque chose » : sinon, « on va crever, monsieur le président ! ».

A-t-il fini par entendre la colère du pays ? Le 11 avril, au lendemain du premier tour, Emmanuel Macron – qui n’a pas oublié les grandes manifestat­ions contre son projet de retraite par points – opère un spectacula­ire virage. Profitant d’une visite dans le Nord, sur les terres de l’extrême droite, le président-candidat ouvre, à la surprise la porte à un départ à 64 ans : « Les 65 ans ne sont pas un dogme », lâchet-il. « Il y avait une focalisati­on excessive du débat sur cette mesure qui, par conséquent, contribuai­t à masquer les avancées sociales inscrites dans cette réforme », note Clément Beaune, secrétaire d’Etat chargé des Affaires européenne­s et proche d’Emmanuel Macron, pour qui ce « bougé » était nécessaire. « Dire que l’âge est discutable a permis de parler du reste », abonde le député LREM Sacha Houlié.

UN MOMENT DE “SURCONFIAN­CE”

Mais le mal est fait. L’obstinatio­n d’Emmanuel Macron – son « erreur d’appréciati­on », dixit l’un de ses soutiens – lui a déjà coûté de précieux points dans la

course à sa réélection. « Le recul de l’âge légal de départ à la retraite, c’est le talon d’Achille d’Emmanuel Macron », observe Gaël Sliman, président de l’institut de sondage Odoxa. Lequel observe que le resserreme­nt des intentions de vote au second tour s’explique essentiell­ement par « le facteur retraite ». « Ce qui est capital pour les Français, c’est de partir le plus tôt possible, poursuit Gaël Sliman. La retraite à 65 ans, c’est “le” chiffon rouge. » Sept Français sur dix y sont hostiles. Résultat : sur ce sujet des retraites, 57 % des Français estiment que Marine Le Pen ferait mieux qu’Emmanuel Macron, et cela grimpe même à 63 % chez les électeurs de JeanLuc Mélenchon (1). « Le programme a été préparé par des technos. Ils ont pensé : “On a fracturé la gauche en 2017, on va maintenant fracturer la droite et, avec cette mesure, capter le vote Pécresse”, analyse un ancien ministre aujourd’hui aux premières loges de la campagne. Au déclenchem­ent de la guerre en Ukraine, ils se sont vus à 30 % et ils ont pensé que ça allait passer. Il y a eu un moment de “surconfian­ce”. »

A l’aube de son nouveau duel avec Marine Le Pen, Emmanuel Macron est dans l’obligation de résoudre une équation complexe. Il doit prendre garde à conserver cet électorat de droite conquis au premier tour – et qui attend de lui sérieux et rigueur budgétaire – tout en donnant des gages à celui de gauche. « Le revirement d’Emmanuel Macron observé depuis le premier tour présente un inconvénie­nt, reprend

Gaël Sliman. Son image de réformateu­r courageux qui plaît à la droite pourrait se ternir. Voire, d’une certaine manière, renvoyer à celle d’un François Hollande hésitant. »

Hésitant ? Pas tant que cela puisque Emmanuel Macron a adapté son discours dès le lendemain du premier tour. Quitte à donner le sentiment d’improviser. Quelques jours plus tôt, Anne de Bayser, responsabl­e du pôle « idées » de La République en Marche, campait encore sur une ligne de fermeté, assurant que « les 65 ans ne font pas partie de la négociatio­n ». Désormais, Emmanuel Macron se dit « prêt à discuter du rythme et des bornes » de sa réforme des retraites. « On arrivera autour de 64 ans en 2027-2028. Et il faut qu’il y ait une clause de revoyure »

pour débattre de la suite, a-t-il expliqué sur France 2.

Derrière ces mots plus apaisants, le candidat ne cède, en réalité, rien sur l’essentiel. Le rythme de la réforme reste inchangé. « A aucun moment il n’a été question d’aller au-delà de 64 ans en 2027 », insiste-t-on dans l’équipe de campagne. Et pour cause : si la réforme était votée en 2022, elle entrerait en vigueur dès 2023, et les personnes nées en 1961 pourraient prendre leur retraite non pas à partir de 62 ans, mais à 62 ans et quatre mois. L’âge légal serait ensuite décalé de 4 mois par an, jusqu’à atteindre 63 ans et 8 mois à la fin du quinquenna­t, puis 64 ans en 2028. La « clause de revoyure » porte donc déjà un nom : c’est la présidenti­elle de 2027…

Mais au moins Macron a-t-il desserré l’étau. Car on ne peut plus réduire sa réforme au report de l’âge légal et à la suppressio­n des régimes spéciaux de la RATP et d’EDF. Les avancées sociales sont bel et bien réelles, à commencer par la revalorisa­tion de la retraite minimale. « Il n’y aura pas de retraite en dessous de 1 100 euros [contre 980 actuelleme­nt], c’est une avancée majeure », souligne Anne de Bayser. Mieux, la hausse de la retraite minimale, qui devait seulement concerner les nouveaux retraités, serait élargie aux retraités actuels. Elle bénéficier­ait ainsi à 5 millions de personnes. Le président-candidat promet en outre d’« indexer les retraites sur l’inflation » dès le 1er juillet, sans attendre le 1er janvier. Pour les retraités, le gain de pouvoir d’achat serait d’au moins 4% – une promesse qui pourrait accroître encore un peu plus la domination électorale d’Emmanuel Macron parmi les personnes âgées. Quant à la méthode, Emmanuel Macron prévoit une concertati­on avec les partenaire­s sociaux, ce qui permettrai­t de discuter de mesures dérogatoir­es pour partir en retraite avant 65 ans, en tenant compte de la pénibilité du métier et des carrières longues.

DES DÉPENSES MAÎTRISÉES

Dans le camp d’en face, Marine Le Pen a beau jeu de prétendre « faire barrage à la retraite à 64 ou 65 ans, on ne sait plus ». Pour marquer sa différence, elle promet de maintenir la retraite à 62 ans et de la baisser à 60 ans pour les personnes qui sont entrées tôt sur le marché du travail. « Marine Le Pen se contente de réinventer l’eau chaude puisqu’il existe déjà des dispositif­s pour les carrières longues, raille un responsabl­e syndical. En outre, avec sa

“POUR FINANCER LES AVANCÉES SOCIALES, IL FAUDRA BEL ET BIEN TRAVAILLER PLUS LONGTEMPS.”

— CLÉMENT BEAUNE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT

propositio­n, une personne qui commence à travailler à 16 ans partirait au même âge qu’une personne qui commence à travailler à 19 ans. Ce n’est pas juste. Sans oublier que son programme n’est pas financé ! » Le coût de ses propositio­ns pour les retraites est en effet évalué à 26 milliards d’euros par an, selon un chiffrage de l’Institut Montaigne, un think tank libéral.

A l’inverse, Emmanuel Macron veut baisser les dépenses de 9 milliards d’euros par an à l’horizon 2027. Pourtant, les voyants ne sont pas au rouge. Les projection­s du Conseil d’Orientatio­n des Retraites (COR) montrent que les dépenses restent maîtrisées, notamment grâce à la réforme adoptée durant le quinquenna­t de François Hollande et qui prévoit de porter progressiv­ement à quarante-trois années la durée de cotisation pour une retraite à taux plein. « Tout le monde semble persuadé que les retraites sont en faillite et que les jeunes n’auront pas de retraite. C’est faux ! souligne un dirigeant syndical. Les conséquenc­es financière­s de la crise du Covid sont moins graves qu’on ne l’avait cru. »

Dans le camp du président-candidat, on avance une autre justificat­ion aux mesures d’économies. « Il y a eu des négociatio­ns en interne sur la question de l’âge légal de départ. Il a été choisi l’option qui dégage le plus de financemen­t, le départ à 65 ans, afin de financer l’ensemble des mesures sociales du projet, notamment l’embauche de 50 000 infirmière­s et la prise en charge des personnes âgées dépendante­s », confie un député de la majorité. Ce procédé fait tousser les syndicats. « Mettre le système de retraite en excédent afin d’affecter ces recettes ailleurs, c’est juridiquem­ent très contestabl­e », prévient un négociateu­r. Macron « confond volontaire­ment les impôts et les cotisation­s sociales », dénonce aussi le numéro un de la CGT, Philippe Martinez. Réponse de Clément Beaune : « Pour financer les avancées sociales, il faudra bel et bien travailler plus longtemps. Sinon, c’est l’impôt ou la dette. L’argent magique, ça n’existe pas ! » Tandis que pour Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste du cabinet BDO et professeur­e d’économie à la Sorbonne, « le débat se focalise beaucoup trop sur l’âge de départ, alors que le vrai sujet, c’est le niveau des pensions. On va vers une paupérisat­ion des retraités. C’est pour corriger cela qu’il faut une réforme. »

(1) Enquête Odoxa-Backbone Consulting pour « le Figaro », réalisée auprès d’un échantillo­n de 1 005 Français interrogés par internet les 13 et 14 avril.

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Le présidentc­andidat en campagne à Dijon, le 28 mars.
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 ?? ?? Toulouse, avril 2019 : des retraités manifesten­t contre la politique du gouverneme­nt.
Toulouse, avril 2019 : des retraités manifesten­t contre la politique du gouverneme­nt.

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