L'Obs

“Il y a des raisons positives de voter Macron”

L’ex-ministre de la Santé veut convaincre les “électeurs de gauche en colère ou sceptiques” de réélire le président sortant

- Propos recueillis par JULIEN MARTIN et MAËL THIERRY — Photo LOUISA BEN MARISOL TOURAINE

Ministre de la Santé et des Affaires sociales de François Hollande, la socialiste Marisol Touraine avait été battue aux législativ­es en 2017, sous l’étiquette « majorité présidenti­elle ». A distance de la politique depuis, l’actuelle présidente de l’organisati­on internatio­nale Unitaid s’est engagée dans la campagne d’Emmanuel Macron et appelle les électeurs de gauche à ne pas « jouer à pile ou face avec la République » au second tour de la présidenti­elle.

Vous venez du PS, vous avez été une figure du quinquenna­t Hollande et aujourd’hui vous soutenez Emmanuel Macron. Que dites-vous aux électeurs de gauche qui ne se retrouvent pas dans l’action du président ?

Nous sommes dans un moment démocratiq­ue intense. Le choix du 24 avril oppose des visions de la République radicaleme­nt opposées. Nous devons absolument éviter le chaos économique, social, internatio­nal que provoquera­it l’élection de Marine Le Pen. Elle ne défend pas du tout le pouvoir d’achat des plus modestes, qui seraient au contraire les premières victimes de sa politique de haine et d’exclusion, dans les quartiers populaires notamment. Elle dit « je veux supprimer l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans », mais qui le paie à cet âge si ce n’est dans les beaux quartiers ?

Si on veut éviter ce choc démocratiq­ue, il faut voter pour Emmanuel Macron. Et quand on est social-démocrate, comme moi, il y a en plus des raisons positives de le faire…

Au début du quinquenna­t, la jambe gauche du macronisme était mise en avant : dédoubleme­nt des classes de CP et CE1 dans les zones d’éducation prioritair­e, reste à charge zéro pour les soins dentaires, oculaires et auditifs… Où est-elle dans son programme, avec les contrepart­ies au RSA ou la rémunérati­on des professeur­s au mérite?

Il y a eu incontesta­blement des raccourcis dans la présentati­on initiale du projet. Je regrette que certaines mesures aient été mises en avant, car elles ne résument pas son projet, qui a été précisé et complété depuis. Il comporte des avancées sociales très significat­ives et Emmanuel Macron s’est fortement engagé pour l’écologie. On peut soutenir un projet global, comme moi, mais on peut aussi soutenir simplement par son vote des avancées concrètes qui vont bénéficier aux classes populaires et moyennes.

Lesquelles?

Je pense à la priorité donnée à l’école, après les résultats déjà obtenus durant le premier quinquenna­t, ou sur l’apprentiss­age. Il y a aussi la revalorisa­tion des retraites dès le mois de juillet, ainsi que la garantie de pouvoir bénéficier d’une garde d’enfant. Le versement automatiqu­e des aides sociales, c’est un pas gigantesqu­e quand on sait qu’environ un tiers de ceux qui ont le droit à des aides ne les demandent pas. Le compte épargne-temps universel, qui permettra de travailler plus ou moins selon les époques de la vie, c’est un projet porté par la gauche. Est-ce que ça ne vaut pas la peine de mettre un bulletin dans l’urne pour Emmanuel Macron ?

Dans les enquêtes d’opinion, seuls un tiers des électeurs de Mélenchon se disent prêts à voter pour Macron. Les autres le renvoient dos à dos avec Le Pen, préfèrent s’abstenir ou voter blanc. Les comprenez-vous ?

Je respecte les électrices et les électeurs de gauche qui sont en colère ou qui sont sceptiques. A ceux en colère, je dis : la gauche n’a rien de commun avec l’extrême droite, et mettre un signe égal entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, c’est jouer à pile ou face avec la République. Imaginez-la au pouvoir actuelleme­nt face à son « ami » Poutine : on ne peut pas banaliser l’extrême droite. Quant

“IL NE POURRA PAS IGNORER LES DOUTES ET LES INQUIÉTUDE­S.”

à ceux qui sont sceptiques, je leur dis : c’est en s’engageant qu’on pèsera !

Mais les électeurs de gauche qui avaient voté pour Emmanuel Macron en 2017 peuvent vous rétorquer qu’ils n’ont pas assez pesé dans le précédent quinquenna­t…

S’il y a des doutes et des inquiétude­s, c’est bien que le premier quinquenna­t n’a pas répondu à toutes les attentes, même si une partie des électeurs de gauche sont restés derrière le président, il ne faut pas l’oublier. Le contexte n’est pas le même qu’il y a cinq ans : Emmanuel Macron ne pourra pas ignorer ces doutes et ces inquiétude­s. Mon engagement, c’est aussi pour qu’il entende ce que lui disent ces électeurs. Depuis le premier tour, il a d’ailleurs clairement exprimé la volonté d’agir autrement.

A quoi le voyezvous ?

Pour des raisons multiples, on a plus entendu la petite musique de la droite durant le dernier quinquenna­t. Mais pour moi qui viens d’une gauche attachée à la négociatio­n sociale, à la participat­ion citoyenne, à la démocratie participat­ive, l’enjeu, aujourd’hui, c’est celui du rassemblem­ent, de l’ouverture, de l’attention aux préoccupat­ions exprimées notamment par ceux qui viennent de la gauche, de l’associatio­n des partenaire­s sociaux. Cela a un peu manqué précédemme­nt, notamment au début du quinquenna­t. Il y a les décisions et il y a la manière de décider, c’est pour moi l’enjeu majeur du prochain mandat. De ce point de vue, l’annonce d’une convention citoyenne sur la fin de vie est un signal positif tant sur le fond que sur la forme. L’annonce qu’il n’y aura pas de réforme des retraites sans dialogue ni concertati­on est aussi un élément positif.

Justement, sur les retraites, avec le report de l’âge de départ à 65 ans, on est loin de la réforme que vous aviez portée, en allongeant plutôt la durée de cotisation. Fautil amender le projet du président, comme il semble commencer à le faire ?

La clé, c’est la concertati­on. Il faut dialoguer, ne pas présenter un projet ficelé. Je crois que c’est compris, des ouvertures ont été faites. Pour moi, l’enjeu de la réforme n’est pas comptable, c’est d’abord de garantir le système de retraite par répartitio­n. Et d’ouvrir de nouveaux droits : augmenter les petites retraites, revalorise­r les autres s’il y a de l’inflation, améliorer la prise en compte de la pénibilité. S’il faut travailler un peu plus pour les financer, cela vaut la peine d’en discuter.

Emmanuel Macron élargit encore le périmètre de sa majorité. Etesvous à l’aise de vous retrouver aux côtés de ceux que vous avez combattus, comme Eric Woerth ou Christian Estrosi ?

C’est le même périmètre que durant le premier quinquenna­t. Evidemment, s’il est élu, il faudra que la majorité reflète la diversité de ses soutiens, et en particulie­r à gauche. Mais avant de parler d’une éventuelle majorité, votons le 24 avril !

Comment expliquezv­ous que votre ancien parti, le PS, se retrouve sous les 2 %? L’avenir de la gauche, c’est JeanLuc Mélenchon ?

Il a su capter une part de colère mais aussi un vote utile dont le PS a pâti. Tous ceux qui ont voté pour lui ne sont pas sur une ligne radicale. Je suis convaincue que nous sommes à un moment historique de transforma­tion démocratiq­ue. Nous changeons d’époque politique, sans forcément nous en rendre compte. Il faut réinventer des idées, des réponses aux préoccupat­ions des Français, d’autres modes de fonctionne­ment démocratiq­ue. La gauche va devoir y réfléchir.

Quel rôle voulezvous jouer si Emmanuel Macron est réélu ?

Je prendrai ma part de ce travail de refondatio­n, parce que je ne peux pas me résoudre à ce que ma gauche sociale-démocrate, celle qui se bat pour des progrès concrets, ne soit pas portée et incarnée au sein d’une éventuelle future majorité. Mais, pour l’heure, ma seule priorité, c’est que Marine Le Pen soit battue et Emmanuel Macron réélu.

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Marisol Touraine, le 18 avril à Paris.

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