UN SENTIMENT D’EXCLUSION
1996. Deuxième religion, avec 5 millions depratiquants en France, l’islam est toutefois pauvre, mal encadré et peu considéré
Ce mardi 20 février 1996, premier jour de chawat de l’an 1416 de l’hégire, près de 5 millions de musulmans de France ont fêté l’Aïd-el-Fitr, la fin du ramadan. 5 millions de personnes: plus que la population de la Jordanie! […] Musulmans français pour 2 millions d’entre eux; musulmans en voie de francisation pour la plupart des autres, dont les enfants à leur tour devront apprendre à vivre avec cette double appartenance. Dans la contradiction, le déchirement parfois. Mais aussi, souvent, dans le sentiment d’être incompris, suspectés, rejetés.
C’est que l’islam de France, deuxième religion pour le nombre de pratiquants, reste une religion des marges. Pauvre, mal organisée, mal encadrée, mal logée. Comme il y a eu un christianisme des catacombes, il y a aujourd’hui en France un islam des caves. Sait-on qu’en ce pays huit mosquées seulement offrent chacune plus de 1000 places? Une centaine en compte entre 100 et 1000. Calculez: cela ne représente pas 100000 places en tout. Pour les autres, pour la grande majorité des musulmans, un lieu de prière, c’est quoi? Un préfabriqué mal bâti, une chaufferie de HLM, avec quelques tapis de récupération et une chaire bricolée. C’est l’appartement prêté par un fidèle – et les gosses qui se tassent dans la cuisine pendant la prière. C’est le logement loué à un organisme public après des mois de bagarre avec les élus locaux ou avec les populations environnantes non musulmanes qui ne veulent « pas de ça chez nous », parce qu’elles confondent tout: musulmans et islamistes, intégristes et terroristes. […] Des conditions vécues comme vexatoires, humiliantes. Qui ne peuvent que renforcer chez les musulmans le sentiment d’exclusion. Et les pousser au repli communautariste. Bonne affaire pour les fondamentalistes. ■
« Le Nouvel Observateur » n° 1633 du 22 février 1996.