“QUE VEUT DIRE PENSER? ARABES ET LATINS”
Estimer, cogiter, intelliger, fantasmer, discerner, conceptualiser…, que signifie tout cela au juste ? Interroger la pensée n’est pas sans audace, cela devrait pourtant être la question première. Elle était la plus essentielle pour les médiévaux arabes et latins, « qu’on oppose à tort » et qui « brûlent leur vie » à s’y exercer. Dans ce brillant essai en forme de variation sur thème, presque aussi poétique que philosophique (la pensée n’est-elle pas « une poésie générale » ?), Jean-Baptiste Brenet lève un voile sur tout ce que ces auteurs ont à nous en apprendre de bouleversant, « gelé par l’oubli, et donc neuf ». Avec Aristote, Avicenne, Averroès, Ibn Tufayl et Thomas d’Aquin pour guides, en dialogue avec Proust, Pasolini, Musil, Didi-Huberman ou Agamben, le philosophe nous entraîne dans le cours de ses propres « circumnavigations volantes », qui croisent les nôtres et nous emportent comme le fleuve du penser dans lequel nous paraissons depuis toujours déjà pris, sans jamais pouvoir remonter au souvenir de l’idée primitive. Cette impressionnante réflexion où l’érudition profonde se donne avec une généreuse clarté n’a rien d’une prise de tête mais tout d’une fête des sens, puisque penser, c’est d’abord toucher, « tomber sur des corps », rappelle Brenet qui rend à l’activité intellectuelle sa part animale et sensible. « Je suis donc je touche, je touche donc je pense, voilà le raisonnement. » Qu’autant d’intelligence et de finesse aient pu être condensées en seulement 160 pages laisse doublement songeur.