“LES RATONNADES D’ALGER”
Sylvie Thénault Seuil, 336 p., 23 euros
Le 28 décembre 1956, au milieu de la matinée, Amédée Froger, notable pied-noir, maire d’une ville de la plaine de la Mitidja, et l’une des voix du camp de l’Algérie française, est assassiné froidement à la porte de chez lui, rue Michelet à Alger. Le lendemain, son enterrement, suivi par une immense foule, dérape dans ce qui porte alors le nom sinistre de « ratonnade » : sur le chemin du cortège, des dizaines de « musulmans », comme on appelle les Algériens, sont roués de coups. Nombre d’entre eux y perdent la vie. Noyé dans le flot sanglant d’une guerre qui vit tant d’autres violences, l’événement a été oublié. Se plaçant dans la tradition de la « microhistoire » – l’étude de la vie d’un anonyme ou d’un fait méconnu –, Sylvie Thénault, une des plus grandes historiennes actuelles de l’Algérie coloniale, a choisi de le décortiquer pour comprendre les ressorts profonds de cette explosion de fureur. A la manière d’une enquêtrice, elle cerne son sujet peu à peu, allant du plus large – la trajectoire de vie de Froger, l’année 1956 où commencent les premiers attentats du FLN à Alger – au plus serré – le déroulement heure par heure du jour fatal. A chaque pas, grâce à elle, s’éclaire la réalité de la société coloniale et de la domination de tous les instants qu’elle impliquait. Ecrit dans une langue fluide, soutenu par un sens remarquable de la pédagogie, ce livre, à nos yeux magistral, passionnera tout autant ceux qui croyaient tout connaître de la période que ceux qui voudraient la découvrir.