“LA GUERRE AVANT LA GUERRE, 1936-1939”
Daniel Schneidermann. Seuil, 214 p., 20 euros
En ce temps-là n’existaient ni les impayables plateaux de CNews ni la « fachosphère » sur le Net. La presse d’extrême droite n’était pourtant pas inactive. Champion de l’appel au meurtre, le journal de l’Action française, ce mouvement que cherche à réhabiliter M. Zemmour, en venait à traiter Léon Blum de « chamelle », histoire d’ajouter un peu d’homophobie à sa haine viscérale des juifs. « Gringoire » se faisait gloire d’une campagne diffamatoire qui finit par porter ses fruits : elle accula au suicide Roger Salengro, ministre de l’Intérieur socialiste. Et la petite bande de « Je suis partout » – futur titre phare de la collaboration – se réservait l’étonnante spécialité de la haine rigolarde : ils professaient un antisémitisme virulent, sur le ton de la blague. Au centre du paysage, « Paris-Soir », quotidien à gros tirage et à grandes photos, se faisait une religion de sa neutralité : durant toute la guerre d’Espagne, il s’astreint à publier autant d’articles excusant les franquistes que défendant les républicains. A l’extrême gauche enfin, à côté de « l’Huma », « Ce soir », créé par le Parti pour concurrencer la presse populaire. Officiellement, sa rédaction était dirigée par un certain Louis Aragon. En réalité, les commandes étaient tenues par les émissaires de Moscou qui se cachaient à peine : ils avaient leurs bureaux sur place. Après « Berlin 1933 », dans lequel il passait à la loupe la façon dont la presse internationale avait traité l’accession au pouvoir de Hitler, Daniel Schneidermann, fondateur du site Arrêt sur Image, continue son exploration des médias des années 1930. Vive et très claire, passionnante de bout en bout, sa remarquable revue de presse nous aide à relire autrement les grands événements qui courent du Front populaire à la déclaration de guerre de 1939.