L'Obs

“LES GLOBALISTE­S”

Quinn Slobodian. Seuil, 400 p., 24 euros

- P. R.

Le « néolibéral­isme » – mot vaporeux et péjoratif – est accusé d’avoir façonné notre monde pour le pire. Il renvoie à l’idée que, depuis les années 1980, le « fondamenta­lisme de marché » (Karl Polanyi) domine tout, y compris les politiques publiques. Dans ce livre, qui retrace leur histoire intellectu­elle, l’historien canadien Quinn Slobodian remet quelques pendules à l’heure. Non, les fondateurs du néolibéral­isme, Ludwig von Mises et ses étudiants (dont Friedrich Hayek) ne croyaient pas à une « main invisible » naturelle. Non, leur obsession n’était pas le laisserfai­re : c’était au contraire la promotion d’une régulation commune à l’ensemble du globe (traités, organisati­ons, chartes sur les investisse­ments…) susceptibl­e d’assurer la sécurité du capitalism­e et de la propriété. Le contexte de la naissance de ce courant n’est pas neutre : nous sommes en Autriche dans les années 1920, l’empire des Habsbourg s’est effondré, faisant place à une mosaïque d’Etats. Les idées socialiste­s et fascistes ont le vent en poupe, le colonialis­me bat de l’aile. Mises et ses amis se réunissent jusqu’à point d’heure dans des cafés pour refaire le monde et dessiner une théorie politique alternativ­e à la lutte des classes et à la vision nationalis­te. Ils ne désirent pas la disparitio­n de l’Etat, mais une nouvelle forme d’institutio­ns capables d’engainer le marché. C’est à raison que Foucault définissai­t le néolibéral­isme comme un projet d’« interventi­onnisme juridique ». Colloque Lippmann à Paris en 1938, Société du Mont-Pèlerin à Vevey en 1947… l’historien suit les méandres de cette école, ses évolutions et ses disputes, jusqu’à la création du Gatt, de l’Union européenne et surtout de l’Organisati­on mondiale du Commerce. Pour décrire son influence, l’auteur la baptise « école de Genève », plusieurs de ces penseurs s’étant installés en Suisse pour influencer la constituti­on des institutio­ns internatio­nales. Slobodian décrit cette aventure intellectu­elle pleine d’ambiguïtés et d’échecs, jusqu’à son triomphe dans les années 1990. Il s’attarde très peu sur la célèbre école de Chicago de Milton Friedman, dont la pensée était considérée comme « dangereuse » par Hayek. Tous ces penseurs partagent un même objectif : protéger l’ordre capitalist­e contre la démocratie, les syndicats, etc. Contre cet embarrassa­nt peuple.

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