LE FUTUR PRÈS DE CHEZ VOUS
Réalisé par Rudolph Herzog, fils du réalisateur d’“Aguirre”, “Un ticket pour l’espace” démonte, avec méthode et un brin d’humour, les rêves de conquête intergalactique véhiculés par les auteurs de SF.
Pour commencer, balayons deux faux-semblants. D’abord, prévenir que ce « Ticket pour l’espace » n’est que l’homonyme malheureux d’une comédie française de sciencefiction de 2006 avec Kad Merad (le seul gag drôle dont on se souvient est que la voix de l’ordinateur de bord du vaisseau était celle d’Enrico Macias). Ensuite, préciser que ce film n’est pas le dernier né du grand Werner Herzog, cinéaste baroudeur d’« Aguirre, la colère de Dieu » et de « Grizzly Man » – ici simple producteur – mais celui de son fils Rudolph, honnête documentariste télé depuis une quinzaine d’années. Passé notre frustration cinéphile, on reconnaît volontiers la qualité de l’ensemble : avec un mélange de rigueur pédagogique et d’ironie sourde (comme un écho lointain à la malice légendaire de papa Werner), cette version adulte et grand luxe d’un épisode de « C’est pas sorcier » s’ingénie à relativiser les progrès de la conquête spatiale que romantiques toqués, geeks fiévreux ou capitalistes mégalos auraient tendance à embellir.
Après visionnage d’« Un ticket pour l’espace », ceux qui voient dans le réchauffement climatique le signe annonciateur d’un départ express de la Terre et la planification d’un grand reset sur Mars n’auront que leurs yeux pour pleurer. Rudolph Herzog démontre qu’aucun scénario plausible n’est envisageable à très long terme – comptez plusieurs millénaires pour espérer résoudre la myriade de problèmes techniques qui entravent votre vieux rêve d’explorateur intergalactique. Si le réalisateur demeure attentif aux expériences diverses qui se multiplient actuellement à la Nasa pour préparer un futur séjour humain sur Mars, il s’avère absolument impossible d’envisager de s’installer plus loin ou plus longtemps dans un environnement aussi hostile. Dans cette atmosphère sèche, glaciale et saturée en dioxyde de carbone, le colon martien n’aura pas d’autre échappatoire que de rester terré dans une capsule sinistre, un verre d’urine filtrée en guise d’apéro. Dans ces conditions, impossible d’y croiser Jeff Bezos ou Elon Musk. Certes, leurs capitalisations massives sur le marché du vol dans l’espace ont pour but avoué d’en exploiter, à terme, les ressources naturelles. Mais l’anthropologue Taylor R. Genovese imagine moins ces milliardaires en bâtisseurs civilisés qu’en patrons de plus en plus impitoyables à mesure qu’ils s’éloigneraient de leur unité de production hors de la stratosphère. « Imaginons que leurs employés commencent à en avoir assez de travailler par tranches de douze heures. Avec la gestion privée sur Mars, la colonie sera au pouvoir d’un seul homme. On voit déjà des procédés de ce type aujourd’hui dans les centres de distribution d’Amazon. La différence, c’est qu’ici, sur Terre, les travailleurs mécontents peuvent toujours rentrer chez eux. »
Si une retraite sur Mars tient de la mission impossible, un plan B trotte dans l’esprit de la communauté scientifique, apprend-on ici. Maintenant que le télescope Kepler, mis en orbite en 2009, a repéré une quantité importante de planètes accueillantes à quelques encâblures de notre Système solaire, ne serait-il pas plus pratique d’y faire un saut ? Là où Herzog père aurait filmé un conquistador fêlé consumé par son délire d’exploration, Herzog fils douche méthodiquement la moindre particule d’espoir qui motive pareil projet en interviewant une série d’experts implacablement rationnels. Il ne faut pas voir dans son film une sadique entreprise de destruction, mais tout le contraire : une approche clairvoyante, ludique, définitivement stoïcienne de notre éternelle condition de petits humains sur la Terre.