L'Obs

Un président à l’épreuve

- Par CÉCILE PRIEUR Directrice de la rédaction C. P.

Il y a au moins deux manières de considérer la victoire qu’a remportée Emmanuel Macron, dimanche 24 avril. On peut bien sûr souligner qu’avec 58,5 % des voix le président réélu engrange un beau score, en évitant l’humiliatio­n d’une victoire sur le fil face à Marine Le Pen. On peut aussi estimer, à l’inverse, que ce résultat, situé en deçà des 66 % de voix obtenues en 2017, est pour le moins ambivalent, tant il est autant le sien que celui du front républicai­n, ranimé tant bien que mal entre les deux tours. C’est donc un succès paradoxal, qui ne lui confère ni élan ni état de grâce, dont est dépositair­e Emmanuel Macron. Comme il l’a lui-même affirmé le soir de son élection, en rendant hommage aux électeurs qui ont voté pour lui sans partager ses conviction­s, c’est une victoire qui « [l]’oblige pour les années à venir ». Reste à savoir s’il sera à la hauteur de cette exigence, face à un pays plus polarisé que jamais, dont une grande partie des citoyens n’attend rien de lui – quand elle ne lui est pas franchemen­t hostile.

Que 13,3 millions de Français aient cru pouvoir s’en remettre à la candidate d’extrême droite, soit 2,7 millions de plus qu’il y a cinq ans, dit l’ampleur du défi lancé à Emmanuel Macron. Sa victoire l’oblige, en effet, à changer profondéme­nt de méthode, sans se payer une nouvelle fois de mots, au risque d’un troisième tour social ravageur pour le pays. Elle l’oblige à entendre et comprendre le message que lui envoient les Français, et qui s’exprime également dans le taux historique d’abstention (28 %, soit plus d’un inscrit sur quatre) et de votes blancs et nuls (3 millions de votants, soit 8,6 %). Elle l’oblige aussi, alors qu’il a jusqu’ici gouverné le pays en pariant sur son côté droit, à tenir compte du score de la gauche au premier tour, qui s’est coalisée autour de Mélenchon pour devenir la troisième force politique du pays. Elle l’oblige, enfin, à prendre en considérat­ion les attentes de la composante très populaire de l’électorat de Le Pen, en faisant mentir la caricature de président des riches à laquelle il a par trop souvent prêté le flanc.

Pour répondre à ces défis, Emmanuel Macron devra opérer un changement tactique et faire appel à sa jambe gauche – si tant est qu’elle ne soit pas un membre fantôme. Dans le cas présent, il devrait passer très vite aux travaux pratiques, en faisant adopter dès cet été sa loi pour le pouvoir d’achat, coup de pouce nécessaire au soutien des ménages les plus modestes. Mais c’est surtout la future loi sur les retraites, et le chiffon rouge du départ légal à 65 ans, qui sera son épreuve du feu. Sur ce dossier brûlant, à propos duquel il a promis d’ouvrir réellement le débat, il sera particuliè­rement scruté. Comme sur l’écologie, thème sur lequel il a beaucoup promis dans la campagne d’entre-deux-tours – mais aussi beaucoup déçu pendant son premier quinquenna­t. Sur ces deux sujets, social et environnem­ental, sa crédibilit­é quant à la parole donnée sera vite testée. C’est ainsi qu’il confirmera, ou non, sa versatilit­é, que d’aucuns parmi les électeurs de gauche, déçus de ses premières années de mandat, n’hésitent plus à voir comme de la duplicité.

Car au fond, c’est bien sa manière de gouverner qu’il devra accepter de changer s’il veut pouvoir répondre au plus grand challenge qui se pose à lui : orchestrer la respiratio­n démocratiq­ue du pays, répondre à l’énorme attente de meilleure représenta­tion des citoyens qui s’est exprimée dans la campagne, et ce en dépit de la fatigue, voire du désespoir qu’a pu susciter l’offre partisane. Lui qui ne pourra pas se représente­r pour un troisième mandat consécutif puisque la Constituti­on – bien avisée – le lui interdit, doit prendre appui sur cette marge de manoeuvre pour libérer le pays du carcan institutio­nnel dans lequel il est enserré. Changer la donne électorale, atténuer la trop grande verticalit­é du pouvoir, créer plus d’espace pour l’expression des opposition­s et la délibérati­on collective… C’est aussi ça, répondre aux attentes du pays, et partant, espérer faire reculer l’extrême droite : tout tenter, pendant ces cinq prochaines années, pour que la démocratie revive plutôt qu’elle ne survive.

Sa victoire l’oblige à changer de méthode, au risque d’un troisième tour social ravageur pour le pays.

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