L'Obs

La statue de Marianne

LA VIE AVEC MARIANNE, PAR XAVER BAYER, TRADUIT DE L’ALLEMAND PAR ÉRIC FAYE, FAUBOURG, 184 P., 17,50 EUROS.

- DIDIER JACOB

Les histoires d’amour avec Marianne finissent mal en général. Il y a son amant, le narrateur, toujours partant quand elle l’appelle pour lui donner rendez-vous quelque part. A déjeuner, par exemple. C’est dans l’appartemen­t de ses parents, au salon. A l’extérieur, il y a des détonation­s. Trente victimes, apparemmen­t. Et le bilan pourrait s’alourdir. On va pousser un peu le volume de la stéréo. Elgar, les « Variations Enigma ». « On aperçoit des individus cagoulés qui vont et viennent dans des uniformes loufoques, sans doute des hooligans. » Mais l’heure est à la tisane. Soudain, une balle traverse la fenêtre et « le projectile perfore un Andy Warhol de la série “Double Elvis” ». Putain, se dit Marianne. Son père possède justement, caché dans une valise Vuitton, de quoi armer toute l’Ukraine en armes et munitions (du 6,5 X 54, c’est vous dire, et la qualité autrichien­ne est bien sûr au rendez-vous). La voici qui ouvre la fenêtre et qui, munie d’un fusil de chasse, se met à tirer dans le tas. Sacrée Marianne ! On la croirait sortie d’un film de Bertrand Blier (« Buffet froid ») ou de Luis Buñuel si l’auteur n’était surtout inspiré par Kafka. De nouvelle en nouvelle, Xaver Bayer (photo), qui a obtenu le prix du livre autrichien en 2020, et dont Eric Faye propose une très fine traduction, raconte les drôles de jeux auxquels Marianne invite le narrateur. Comme de la chercher dans un stade bourré à craquer, avec pour seuls indices des photos d’elle, cachée dans la foule, qu’elle lui envoie sur son smartphone. Faye dans sa préface : « Les personnage­s de Bayer vivent dans notre monde, jusqu’à un certain moment : celui où des trappes s’ouvrent sous leurs pieds. (…) Et c’est alors, à la faveur de ce basculemen­t, que Bayer, dans sa grande liberté, nous fait revisiter à sa façon certains genres littéraire­s, comme le conte gothique. » Les situations banales jusqu’à l’absurde et la violence sous-jacente qui finit toujours par exploser font de Xaver Bayer le nouveau Thomas Bernhard, sur un mode encore mineur mais sans doute pas pour longtemps.

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