Dernier tango à Kaboul
MA FAMILLE AFGHANE, PAR MICHAELA PAVLÁTOVÁ. FILM D’ANIMATION TCHÈQUE (1H20).
« Le porc et les pensées pécheresses sont interdits. A part ça, tu es libre ! » dit la belle-mère. Mariée à un économiste afghan, amoureuse, Herra la blonde Tchèque découvre la vie à Kaboul (nous sommes en 2001). Libre? Tu parles! Elle doit porter le voile, voire être carrément bâchée, ne jamais parler à des hommes hors de la présence de son mari, s’occuper de procréer, ne pas fumer, obéir à la belle-mère et subir une quasi-captivité acceptée, voire assumée. Le truc, c’est que ce film – un dessin animé imprégné d’un humour tendre et d’une ironie gracieuse – dénonce, mais en douceur. Pas de hauts cris ou de revendications féministes, juste le constat, à la fois amusé et agacé, d’une société patriarcale, moyenâgeuse, qui va à l’encontre de toutes nos valeurs, et qui va bientôt être cadenassée par les talibans. Tirée d’un roman de Petra Procházková publié en 2004 (traduit en anglais mais pas en français), l’histoire est autobiographique : l’auteure a été reporter de guerre en Tchétchénie, a vu son mari disparaître entre les mains des fous de Dieu, a fondé une ONG pour venir en aide aux femmes à Grozny et a vu de près ces mariages forcés entre enfants non pubères, ces règlements de comptes atroces, ces comportements imbéciles d’hommes cruels. Le film, créé par Michaela Pavlátová, réalisatrice à la tête du département d’animation de l’Académie de Prague, modifie les données de base (Herra, dans le livre, est russo-tchétchène; dans le film, elle est tchèque) pour en faire une chronique sur la vie quotidienne d’une Européenne dans un milieu oriental. Choc des civilisations? Certes. Mais choc de velours. La présence d’un poulbot afghan drôle et vif, Maad, donne au film des ailes, et jamais on ne se départit d’un ton à la fois amusé et étonné : l’amour qui flotte dans cette famille (le grand-père est craquant) permet de surmonter les aspérités. Issue d’une longue tradition de l’animation en ex-Tchécoslovaquie, Michaela Pavlátová sait de quoi elle parle : la liberté. Elle a vu le printemps de Prague et les chars soviétiques. Son film, du coup, a une densité que le charme de la narration met en valeur. Pour Herra l’héroïne, à Kaboul, « tout est simple : un mari, une religion, un pays », et il convient d’en sourire (parfois amèrement). Deux mondes se font face, dans ce film léger, grave, drôle, inattendu, fort. Drame? Comédie? Disons que c’est une dramédie, voilà tout.