Temps de parole
Dans l’ancienne France, lors de l’élection présidentielle de 2022 (à l’époque, nos ancêtres choisissaient leurs dirigeants par un système archaïque de vote et de délégation de pouvoir qu’ils appelaient « démocratie »), se produisit un phénomène qui passa d’abord inaperçu mais dont les répercussions se révélèrent par la suite majeures. Alors que dans les médias audiovisuels traditionnels, « radio » et « télévision », dont il ne reste plus aucune trace aujourd’hui, le temps de parole de chacun des candidats était mesuré et équilibré selon des équations complexes, il régnait sur ce qu’on nommait « internet » l’anarchie la plus totale. Jusqu’en 2022, on s’en moquait un peu, l’internet se limitant à accueillir la propagande directe des candidats, ou une parole alternative. Or, en cette deuxième décennie du e siècle, se mit à s’épanouir dans ces mêmes réseaux un discours journalistique–ou par a journalistique– autour de la campagne présidentielle. Les candidats et leurs soutiens étaient interviewés, mais sans tenir compte d’une quelconque équité du temps de parole. Les calculs e ectués a posteriori montrèrent : 1. que les candidats aux discours les plus radicaux bénéficiaient du meilleur temps de parole (et du plus grand nombre de visionnages) ; 2. qu’il n’y avait guère de correspondance entre ces scores et ceux de l’élection proprement dite. Ce qui amena nos aïeux à plusieurs conclusions sur le comportement électoral. L’électeur peut aimer écouter un candidat et voter pour un autre – il peut écouter un candidat juste pour s’assurer qu’il ne votera pas pour lui –, il peut voter pour un candidat sans éprouver le besoin de l’écouter, il peut préférer ne pas entendre le candidat pour lequel il va voter.
Dans la foulée de ces conclusions, il fut mis fin aux règles régissant le temps de parole et, quelque temps plus tard, se referma tout simplement ce qu’on nomme depuis « la parenthèse démocratique de l’histoire humaine ».