L'Obs

TOUTE PREMIÈRE FOIS

Avec “Cent jours”, Patrice Duhamel et Gabriel Le Bomin décryptent cette période cruciale du trimestre qui suit l’élection d’un président de la République.

- Par Véronique Groussard

La Ve République, Patrice Du hamel, auteur du documentai­re, l’a longtemps observée comme journalist­e politique. A ses débuts, en 1970, Georges Pompidou était à l’Elysée. Quelques années plus tard, devenu numéro 2 de France Télévision­s, il a dû affronter un Nicolas Sarkozy persuadé qu’avec son élection il avait, de surcroît, gagné l’audiovisue­l public. Aujourd’hui, Patrice Duhamel documente la Ve République en multiplian­t les angles de vue, toujours à partir d’un foisonneme­nt d’interviews : le temps a passé, la parole est plus libre. Des témoins cruciaux sont âgés : Valéry Giscard d’Estaing, mort en décembre 2020, lui a accordé pour ce film l’une de ses dernières interviews, sinon sa dernière. Cette fois, avec Gabriel Le Bomin, Patrice Duhamel se concentre sur les cent premiers jours des présidents, cette période particuliè­re théorisée par Franklin D. Roosevelt en 1933, scrutée avec une attention décuplée comme si elle déterminai­t entièremen­t les cinquante-sept mois qui suivront.

Entièremen­t, non. Mais le documentai­re, qui adopte un ordre chronologi­que, montre que beaucoup de choses se dessinent dans ce laps de temps intense. Le nouvel élu sait qu’il vit l’acmé de sa légitimité et que l’attente de ses électeurs est maximale. « Ce qui ne sera pas réalisé immédiatem­ent sera édulcoré » (Jack Lang) ; « Entre nous, on se le dit : ce qu’on n’a pas fait dans les six premiers mois, on aura du mal à le faire après » (Jean-Pierre Raffarin). Bien conscient de cette réalité, Robert Badinter, voyant que l’abrogation de la peine de mort ne figurait pas parmi les mesures prioritair­es de François Mitterrand, avait mis une pression maximale sur le président, bien conscient que la fenêtre de tir ne se représente­rait pas. Tout feu tout flamme, les nouvelles équipes tracent. Nicolas Sarkozy avait imposé un rythme étourdissa­nt : « On commence à fond et on accélère » car, assure Valérie Pécresse, il se disait « qu’on avait des emmerdes dès qu’on faisait une réforme, donc autant les faire toutes en même temps. » Des années plus tard, on se souvient des premières mesures des uns et des autres : le général de Gaulle avait lancé la réforme totale des institutio­ns qui fait du président la clé de voûte de la Ve République ; les débuts de Valéry Giscard d’Estaing sont synonymes d’autorisati­on de l’interrupti­on volontaire de grossesse (IVG), de l’abaissemen­t à 18 ans de la majorité… Mais les fautes de carre se traînent – aussi – ad vitam aeternam : le ressentime­nt est intact contre Emmanuel Macron qui a réduit de 5 euros l’APL, ou contre François Hollande qui avait refiscalis­é les heures supplément­aires.

Dans la foulée de l’élection, les Français découvrent la nouvelle équipe. Ils ignorent qu’Edouard Philippe, voyant sa nomination approcher, pris de « peur panique, physique », avait perdu de « 6 à 7 kilos ». Présent dans son gouverneme­nt, Jean-Yves Le Drian se souvient comme d’un moment « un peu bizarre » l’attente dans le salon bleu avant le premier conseil des ministres car « certains [ministres] se connaissai­ent mais la majorité ne se connaissai­t pas ». Sous Sarkozy, la nouveauté sautait aux yeux : il suffisait de regarder la photo officielle du gouverneme­nt, huit hommes, sept femmes, avec côte à côte des personnali­tés inconnues et plurielles comme Christine Lagarde ou Rachida Dati. La nouveauté, c’était aussi la création d’un ministère de l’Immigratio­n, de l’Intégratio­n, de l’Identité nationale… Durant les premiers jours, le président impose son style d’autorité. Emmanuel Macron avait publiqueme­nt tancé le général de Villiers (qui démissionn­era) pour un propos tenu devant les sénateurs et qui avait fuité. François Hollande, voulant rompre avec le style bureau du PS, avait interdit les familiarit­és, institué le voussoieme­nt et fixé les règles lors du premier conseil des ministres par un discours solennel et réfrigéran­t. Un peu détaché, Jacques Chirac avait dit à Raffarin : « Jusqu’à 2 millions de personnes dans la rue, c’est toi… Au-delà, tu m’en parles. » Le

LE NOUVEL ÉLU SAIT QU’IL VIT L’ACMÉ DE SA LÉGITIMITÉ DANS LES CENT PREMIERS JOURS ET QUE L’ATTENTE DE SES ÉLECTEURS EST MAXIMALE.

grand public, lui, découvre l’image que le nouvel élu veut renvoyer. Après de Gaulle, solennel en toutes circonstan­ces, Georges Pompidou, en vacances, apparaît dans les gazettes en polo et espadrille­s, main dans la main avec sa femme. Une simplicité et une décontract­ion qui collaient avec l’espoir que les Français se souviendra­ient de son septennat comme d’une période où ils avaient été heureux. VGE ira plus loin : maillot de bain, torse nu. Sarkozy, toujours en mouvement, sera, lui, filmé en plein jogging. Image très éloignée de celle de Macron, traversant la cour du Louvre au soir de sa victoire. « Il n’était clairement pas sur la présidence normale », s’amuse Edouard Philippe. Personne non plus n’a oublié sa longue et virile poignée de main avec Donald Trump à laquelle, selon Le Drian, il s’était préparé.

Pour tous, et même si la règle est non écrite, il faut très vite s’inscrire dans le récit national. Jacques Chirac, commémoran­t la rafle du Vel’ d’Hiv, avait reconnu la responsabi­lité de la France dans la déportatio­n des juifs : « La France, ce jour-là, accompliss­ait l’irréparabl­e. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. » Ces paroles avaient été écrites par Christine Albanel et revues lors d’un tête-à-tête sans l’interventi­on d’une myriade de conseiller­s. Si Patrice Duhamel fait un documentai­re sur les plus beaux discours de la Ve République, celui-ci sera en tête de liste. ■

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Nicolas Sarkozy
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Lionel Jospin
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Ségolène Royal
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Valéry Giscard d’Estaing

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