L'Obs

LA BEAUTÉ DU HORS PISTE

LA CHEVAUCHÉE DES BANNIS

- GUILLAUME LOISON

Western américain d’André de Toth (1959). Avec Robert Ryan, Burl Ives, Tina Louise. 1h30.

Ça chauffe à Bitters, un village du Wyoming perdu dans la neige : Blaise Starrett (Robert Ryan), l’un des premiers à s’être installé dans le coin, supporte mal que la majeure partie des nouveaux arrivants clôturent leurs terres avec du fil de fer barbelé. Derrière cette opposition de styles vieille comme un bon western classique (liberté de mouvement vs accès à la propriété privée) sourd un conflit plus intime : ce rustaud de Starrett en pince pour la belle Helen (Tina Louise), l’épouse d’un des fermiers aux idées neuves. La communauté est à deux doigts de se déchirer quand un danger les soude pour un moment : une cavalerie de desperados prend le village en otage. A leur tête, Jack Bruhn (Burl Ives, photo, au centre), un officier séditieux, les dirige d’une main de fer. Mais une blessure à la poitrine fragilise son pouvoir. Au cours de cette année 1959 riche en westerns entrés dans la légende (« Rio Bravo », « les Cavaliers », « le Vent de la plaine »), « la Chevauchée des bannis » ferait presque figure d’outsider. Et pourtant, André de Toth signe là un film mémorable, porté par des gestes forts, une rigueur narrative et une intelligen­ce redoutable – Tarantino ne s’y est pas trompé en le citant abondammen­t dans ses « 8 Salopards », remake officieux très en deçà de l’original. D’abord, c’est évidemment ce choix visuel d’un cadre neigeux qui renouvelle à lui seul le genre. Tout change dans cette aridité glacée, les cavalcades entravées par la poudreuse comme la symbolique des grands espaces, où l’on s’enfonce dans la nature plutôt que de la conquérir. L’autre atout maître du film réside dans la nervosité de son scénario qui allie l’angoisse d’une série B d’horreur au climat poisseux d’un huis clos sartrien. Dans cette Amérique du bout du monde, il suffit d’un rien pour basculer dans la sauvagerie pure et dure : la poigne d’un homme, un zeste d’orgueil mal dosé, une pulsion sexuelle submergean­t tout sur son passage… Sous la férule d’André de Toth, cette somme de bonnes intentions donne de purs moments de cinéma. De sa magistrale « Chevauchée », on se souvient longtemps des regards complices zébrés d’hostilité que se lancent Robert Ryan et Burl Ives, et aussi de cette scène de bal électrisée par l’inquiétant­e libido des malfrats.

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