L’HOMME QUI AIMAIT LES FEMMES
SUR LA ROUTE DE MADISON
Mélodrame américain de Clint Eastwood (1995). Avec Clint Eastwood, Meryl Streep. 2h09.
Alors que Francesca Johnson vient de rendre son dernier souffle, ses deux grands enfants organisent ses obsèques. Surprise : le notaire leur signifie que leur mère a choisi d’être incinérée et a réclamé que ses cendres soient déposées près du pont couvert de Madison Road plutôt que dans le caveau où repose son mari. L’explication réside dans son journal intime… Tout le monde connaît « Sur la route de Madison » : ses mouvements d’appareil aussi voluptueux que les émois frémissants du couple Francesca Johnson-Robert Kincaid, nés au hasard d’un reportage du photographe durant l’été 1965 dans l’Iowa ; son éloge de l’officieux, du charme de l’imprévu et de l’infiniment petit. En adaptant le mélo de Robert James Waller, phénomène de librairie cucul et dégoulinant, Eastwood n’en garde qu’une poignée d’éléments bruts qu’il refaçonne à sa main. D’un pick-up émergeant de nulle part, entrée en matière favorite de ses personnages, aux virées clandestines des deux amants dans un club de jazz (sa musique fétiche jouée par une communauté en marge qu’il affectionne), on voit combien son style investit le scénario. C’est surtout son rapport aux femmes et, plus largement, à la fidélité qu’Eastwood interroge plus que jamais. Dès « Breezy », son deuxième film comme réalisateur, romance d’un quinqua solitaire et d’une post-ado hippie, il avait déjà raconté des histoires d’amour tordues, intenses et douloureuses que la société réprouve. Sauf qu’ici, son personnage de baroudeur respectueux et détaché ne croise pas un alter ego au féminin, voire un être complémentaire idéal, mais une personnalité à sa hauteur qui remet en cause son surmoi et ses certitudes. Interprétée par Meryl Streep, Francesca donne de la voix, choisit de succomber à ce coup de foudre tardif tout en refusant de sacrifier ses acquis et ses habitudes. Elle s’avère l’autre metteur en scène du film (l’histoire est d’ailleurs racontée et même orchestrée de son point de vue), à qui Eastwood consent de faire une place et même de lui obéir. C’est à cette forme ultime d’altérité que « Sur la route de Madison » apparaît comme un film décisif dans sa carrière.