L'Obs

Guerre par procuratio­n

- Par CÉCILE PRIEUR Directrice de la rédaction C. P.

Qu’il semble loin, déjà, ce 24 février, lorsque le monde, médusé, découvrait l’odieuse attaque de la Russie contre l’Ukraine. A l’époque, bien peu pariaient sur les chances du peuple ukrainien de résister à l’ogre Poutine, fort de la capacité de feu présumée de la deuxième armée au monde.

Deux mois se sont écoulés, et l’arrogance de la Russie semble partie en fumée, évanouie dans le sillage de sa défaite à Kiev, la révélation de la barbarie de Boutcha et la retraite des soldats russes dans le Donbass. Une nouvelle phase du conflit s’est ouverte : semblant s’être convaincus de la fragilité de la Russie, les soutiens de l’Ukraine, Etats-Unis en tête, ont décidé une aide spectacula­ire en livraisons d’armes et de matériel militaire.

Un soutien si direct et si massif qu’il fait basculer le centre de gravité du conflit, transforma­nt l’Ukraine en un terrain d’affronteme­nt inédit entre l’Occident et la Russie, une guerre par procuratio­n qui ne dit pas son nom.

Vladimir Poutine, qui n’aime rien mieux que mettre en scène ses ennemis, peut au moins avoir cette satisfacti­on : comme dans une prophétie autoréalis­atrice, la guerre qu’il a déclenchée débouche sur une confrontat­ion des blocs inédite depuis la fin de la guerre froide. L’action du président russe a en effet réussi à refonder l’Union européenne, sortir l’Otan de sa léthargie et même souder définitive­ment l’Ukraine en tant que nation.

Et alors que les Américains s’étaient montrés d’une extrême prudence au début des combats, pour ne pas apparaître comme des cobelligér­ants, voilà que Poutine a également réveillé Oncle Sam. Prenant la tête d’une coalition de 28 pays répartis sur quatre continents, Joe Biden a annoncé, le 28 avril, une aide colossale de 33 milliards de dollars à l’Ukraine, dont 20 milliards de dollars de livraisons d’armes – l’équivalent de la moitié du budget annuel de la défense nationale française.

Comme lors de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis parient sur leur puissance de feu économique pour faire définitive­ment la différence dans le conflit.

Le parallèle avec la guerre de 1939-1945 ne s’arrête pas là. Joe Biden, qui avait déjà été comparé à Franklin D. Roosevelt pour avoir mis sur pied un plan d’investisse­ment massif dans l’économie américaine, se place désormais ouvertemen­t dans la lignée de son illustre prédécesse­ur pour endosser le rôle de chef de guerre des démocratie­s mondiales. Cette posture affirmée, presque conquérant­e, ne doit rien au hasard.

Les Américains et leurs alliés ont fait un constat doublé d’un pari : le constat de la faiblesse structurel­le de l’armée de Poutine, qui n’aurait pas les moyens de ses velléités impérialis­tes ; et le pari que les Russes n’utiliseron­t pas l’arme nucléaire, malgré leurs menaces répétées.

Comme au bon vieux temps de la guerre froide, les Occidentau­x ont donc opté pour la stratégie dite de containmen­t (« endiguemen­t ») de la Russie : acculer Poutine pour qu’il s’enlise sur le terrain en Ukraine ; le dissuader de réitérer tout coup de force dans les autres pays européens.

Cette stratégie, si elle a le mérite de la clarté, place la stabilité du monde sur une corde raide. Car si l’on peut se réjouir que les crimes de Poutine ne restent pas impunis, la montée en puissance des Occidentau­x pourrait pousser les Russes à la surenchère.

La guerre est loin d’être finie, la Russie peut reconstitu­er sa force de frappe et surtout décider de marquer les esprits, en choisissan­t la brutalité et l’utilisatio­n de moyens de destructio­n de grande ampleur, comme les armes chimiques. Quant à la dissuasion nucléaire, c’est une arme à double tranchant, d’autant plus hasardeuse qu’elle parie sur la rationalit­é de l’adversaire.

Dans ce conflit qui bouscule l’ordre internatio­nal et redessine les équilibres globaux, il n’y a désormais qu’une seule certitude : le chemin pour préserver la stabilité mondiale est de plus en plus périlleux.

Les soutiens de l’Ukraine, EtatsUnis en tête, ont décidé une aide spectacula­ire en livraisons d’armes.

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