L'Obs

Plan contre plan

- Par SOPHIE FAY S. F.

Pour une fois, il y a un quasiconse­nsus politique en France. Une idée vers laquelle deux tiers des électeurs convergent. Pour réussir la transition écologique, face aux défis que nous imposent la lutte contre le réchauffem­ent climatique et la protection de la biodiversi­té, il faut un plan. Ou plus exactement un outil de planificat­ion. C’est l’une des obsessions de Jean-Luc Mélenchon et de l’Union populaire. Un étendard porté par les jeunes, très à l’écoute des experts du Giec qui nous donnent moins de trois ans pour remodeler nos modes de vie. Certains libéraux se gaussent du retour de l’Union soviétique. Mais pas tous. D’ailleurs, à mi-chemin entre libéraux et sociaux-démocrates, Emmanuel Macron parle aussi de planifier. En mars 2020, en confinant les Français au début de la pandémie de Covid, il annonçait : « Il nous faudra bâtir une stratégie où nous retrouvero­ns le temps long, la possibilit­é de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seules peuvent permettre de faire face aux crises à venir. » Le propos, noyé dans un discours fleuve comme souvent, est passé inaperçu. Mais juste avant sa réélection, en meeting à Marseille, il a été beaucoup plus clair : le mot planificat­ion est revenu sept fois dans son discours. La transforma­tion écologique de notre modèle économique a été élevée au rang de « politique des politiques ».

Il nous faut donc un plan, mais lequel ? La planificat­ion de Jean-Luc Mélenchon ou celle d’Emmanuel Macron ? Le leader de l’Union populaire a un avantage : l’antériorit­é de l’idée. Dès 2009, Martine Billard, alors députée, en avait fait une propositio­n de loi débattue à l’Assemblée. Sur le papier, son projet est donc très construit. Il repose sur la création d’un conseil à la planificat­ion écologique pour organiser et synthétise­r le débat démocratiq­ue entre citoyens, dans les comités d’entreprise, les communes, les partis politiques, les syndicats, les ONG… Les entreprise­s, en revanche, ne sont pas au premier rang du dispositif. La « bifurcatio­n écologique » implique en effet de « rompre avec le productivi­sme ». Par souci assumé de réalisme, Mélenchon ne va pas jusqu’à annoncer une rupture avec le capitalism­e. Ce dernier sera en revanche encadré par la norme et la loi. A commencer par la publicité, interdite lorsqu’elle crée des besoins absurdes. Le processus d’élaboratio­n du plan aura un fil conducteur : la « règle verte », qui interdira, à l’échelle de la France, de prélever sur la nature plus de ressources renouvelab­les que ce qu’elle peut reconstitu­er.

Emmanuel Macron, lui, est moins précis, mais plus opérationn­el. Il promet deux ministres directemen­t rattachés à Matignon, l’un chargé de la planificat­ion énergétiqu­e, l’autre de la planificat­ion territoria­le. L’obsession du gouverneme­nt sera « environnem­entale, sociale et productive » : les entreprise­s seront donc au coeur du plan. Comment les ministres concevront-ils la définition d’une stratégie environnem­entale à long terme ? On a peu de détails.

Mais le président ne manquera pas de conseils pour définir sa méthode. Depuis plus de deux ans, France Stratégie, l’ancien commissari­at au Plan, devenu depuis 2006 l’organisme de prospectiv­e du gouverneme­nt, y travaille. Présidé par Gilles de Margerie, un proche d’Emmanuel Macron, il publiera cette semaine un lourd rapport, « Soutenabil­ités. Orchestrer et planifier l’action publique ». Lui aussi recommande un vaste exercice de délibérati­on pour nous projeter en 2050 et que chacun s’approprie l’enjeu écologique et les bouleverse­ments qu’il requiert dans nos habitudes. Très prudent sur les solutions technologi­ques, il nous invite à redéfinir la croissance. Lui aussi propose l’instaurati­on d’une « règle de soutenabil­ité » qui soit aussi contraigna­nte que la règle budgétaire lors du vote des lois : on ne doit plus « compromett­re la capacité des génération­s futures à répondre à leurs besoins ». Une chose est certaine : cet exercice de planificat­ion, indispensa­ble, s’annonce vertigineu­x de complexité et de conséquenc­es. Pas facile de réenchante­r la sobriété.

La “règle verte” interdira, en France, de prélever sur la nature plus de ressources renouvelab­les que ce qu’elle peut reconstitu­er.

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