Plan contre plan
Pour une fois, il y a un quasiconsensus politique en France. Une idée vers laquelle deux tiers des électeurs convergent. Pour réussir la transition écologique, face aux défis que nous imposent la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de la biodiversité, il faut un plan. Ou plus exactement un outil de planification. C’est l’une des obsessions de Jean-Luc Mélenchon et de l’Union populaire. Un étendard porté par les jeunes, très à l’écoute des experts du Giec qui nous donnent moins de trois ans pour remodeler nos modes de vie. Certains libéraux se gaussent du retour de l’Union soviétique. Mais pas tous. D’ailleurs, à mi-chemin entre libéraux et sociaux-démocrates, Emmanuel Macron parle aussi de planifier. En mars 2020, en confinant les Français au début de la pandémie de Covid, il annonçait : « Il nous faudra bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seules peuvent permettre de faire face aux crises à venir. » Le propos, noyé dans un discours fleuve comme souvent, est passé inaperçu. Mais juste avant sa réélection, en meeting à Marseille, il a été beaucoup plus clair : le mot planification est revenu sept fois dans son discours. La transformation écologique de notre modèle économique a été élevée au rang de « politique des politiques ».
Il nous faut donc un plan, mais lequel ? La planification de Jean-Luc Mélenchon ou celle d’Emmanuel Macron ? Le leader de l’Union populaire a un avantage : l’antériorité de l’idée. Dès 2009, Martine Billard, alors députée, en avait fait une proposition de loi débattue à l’Assemblée. Sur le papier, son projet est donc très construit. Il repose sur la création d’un conseil à la planification écologique pour organiser et synthétiser le débat démocratique entre citoyens, dans les comités d’entreprise, les communes, les partis politiques, les syndicats, les ONG… Les entreprises, en revanche, ne sont pas au premier rang du dispositif. La « bifurcation écologique » implique en effet de « rompre avec le productivisme ». Par souci assumé de réalisme, Mélenchon ne va pas jusqu’à annoncer une rupture avec le capitalisme. Ce dernier sera en revanche encadré par la norme et la loi. A commencer par la publicité, interdite lorsqu’elle crée des besoins absurdes. Le processus d’élaboration du plan aura un fil conducteur : la « règle verte », qui interdira, à l’échelle de la France, de prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer.
Emmanuel Macron, lui, est moins précis, mais plus opérationnel. Il promet deux ministres directement rattachés à Matignon, l’un chargé de la planification énergétique, l’autre de la planification territoriale. L’obsession du gouvernement sera « environnementale, sociale et productive » : les entreprises seront donc au coeur du plan. Comment les ministres concevront-ils la définition d’une stratégie environnementale à long terme ? On a peu de détails.
Mais le président ne manquera pas de conseils pour définir sa méthode. Depuis plus de deux ans, France Stratégie, l’ancien commissariat au Plan, devenu depuis 2006 l’organisme de prospective du gouvernement, y travaille. Présidé par Gilles de Margerie, un proche d’Emmanuel Macron, il publiera cette semaine un lourd rapport, « Soutenabilités. Orchestrer et planifier l’action publique ». Lui aussi recommande un vaste exercice de délibération pour nous projeter en 2050 et que chacun s’approprie l’enjeu écologique et les bouleversements qu’il requiert dans nos habitudes. Très prudent sur les solutions technologiques, il nous invite à redéfinir la croissance. Lui aussi propose l’instauration d’une « règle de soutenabilité » qui soit aussi contraignante que la règle budgétaire lors du vote des lois : on ne doit plus « compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins ». Une chose est certaine : cet exercice de planification, indispensable, s’annonce vertigineux de complexité et de conséquences. Pas facile de réenchanter la sobriété.
La “règle verte” interdira, en France, de prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer.