La fracture suédoise
Ce fut longtemps l’un des pays les plus homogènes au monde. Mais aujourd’hui, en Suède, plus de 2 millions d’habitants sont issus de l’immigration, soit 20 % de la population. Un nombre qui a doublé en vingt ans et dont la plus grande part est d’origine extra-européenne. Or la politique d’intégration est reconnue comme un échec. Ce constat brutal n’est pas formulé par un parti xénophobe mais par la Première ministre sociale-démocrate lors d’une conférence de presse au ton direct, jugé « inhabituel » par les observateurs. « Une telle ségrégation a prospéré dans le pays de telle sorte que la société suédoise est désormais compartimentée en sociétés parallèles. Nous vivons dans le même pays mais dans des réalités complètement différentes », a dit Magdalena Andersson. Un constat impitoyable, qui est aussi une autocritique pour la représentante d’un parti qui a détenu le pouvoir pendant vingt-huit ans au cours des quarante dernières années. « L’intégration a été trop faible tandis que nous avons connu dans le même temps une immigration massive. Notre société a été trop inconséquente sur cette question, et les moyens alloués à la police et aux services sociaux, trop légers », a-t-elle expliqué.
Qu’est-ce qui justifie un discours si loin du politiquement correct ? Depuis le 14 avril, deux villes au sud-ouest de Stockholm sont le théâtre d’affrontements entre la police et des émeutiers venus protester contre l’arrivée d’une figure controversée dans le pays, le Dano-Suédois Rasmus Paludan. Régulièrement mis en cause pour incitation à la haine, cet avocat de 40 ans, chef du parti d’extrême droite « Stram Kurs » (Ligne dure), a mis le feu aux poudres en projetant de brûler des corans dans plusieurs villes. En Suède, le délit de blasphème n’existe plus depuis 1970 et brûler le coran sur la place publique dans le cadre d’une manifestation est donc considéré comme l’expression d’une idée, aussi choquante soit-elle. Les autorités avaient dès lors peu de moyens juridiques pour l’interdire mais, surtout, le principe même de la liberté d’expression fait consensus, à gauche comme à droite, dans ce pays intellectuellement très libéral.
Une conception que ne partage pas une partie de la population immigrée puisque, durant tout le week-end de Pâques, dans des quartiers défavorisés, massivement peuplés de personnes de culture musulmane, des hommes, des femmes, mais aussi des enfants, se sont livrés à des attaques contre tout ce qui représente les pouvoirs publics. A Malmö, une école a brûlé. A Norrköping et à Linköping, des bandes ont pris le contrôle de plusieurs quartiers en faisant fuir la police et en terrorisant les habitants. Le pays a compté plus de cent blessés parmi les forces de l’ordre. Le tout filmé et diffusé sur les réseaux sociaux, souvent par les émeutiers eux-mêmes.
En se livrant à un acte évidemment destiné à provoquer les musulmans, Paludan a voulu démontrer que l’islam n’est pas compatible avec la démocratie. Heureusement, les instances religieuses ne sont pas tombées dans le piège et ont dénoncé les émeutes. Mais elles ont aussi exposé le fait que les forces de l’ordre ne sont plus capables de faire respecter l’Etat de droit dans certains quartiers. Car la Suède, jadis réputée pour sa tranquillité, est devenue le pays qui connaît le taux de fusillades meurtrières le plus élevé en Europe. Les clans mafieux y pullulent. Alors, comme bon nombre de démocraties européennes, elle doit faire l’examen critique de sa politique d’immigration et d’intégration. Et puisque le « modèle social scandinave » fut longtemps vanté en France, attendons de savoir s’il peut à nouveau nous inspirer.
“Nous vivons dans le même pays mais dans des réalités différentes.”