L'Obs

“C’est une fausse bonne idée, impossible à mettre en oeuvre”

ANNE-CÉCILE ROBERT Journalist­e au “Monde diplomatiq­ue”, coauteure avec Romuald Sciora de “Qui veut la mort de l’ONU?” (Eyrolles, 2018)

- R.F.

Que pensez-vous des propos du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, sur l’impuissanc­e de l’ONU depuis le début de la guerre en Ukraine?

L’ONU agit au quotidien dans la guerre en Ukraine : toutes ses structures humanitair­es sont actives dans le pays, assurant la survie de milliers, voire de millions de personnes. Diplomatiq­uement, deux réunions extraordin­aires de l’Assemblée générale se sont tenues, et deux grandes résolution­s condamnant l’invasion russe ont été votées. Mais il est vrai que l’ONU ne parvient pas à stopper ce conflit, car le Conseil de Sécurité, qui dispose de la fonction de « police internatio­nale », n’a pas pu jouer son rôle en raison du veto russe.

Justement, ne faudrait-il pas retirer le droit de veto à la Russie, voire le supprimer pour tous?

C’est une fausse bonne idée, qui plus est impossible à mettre en oeuvre sans l’accord des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité. Rappelons tout de même que, sans le droit de veto, il n’y aurait pas d’ONU : les membres permanents n’auraient jamais accepté le pouvoir coercitif du Conseil de Sécurité. Le supprimer risque donc de remettre en cause l’existence même de l’ONU. Surtout, je suis persuadée que le veto n’est que le symptôme de quelque chose de plus profond et de plus grave : l’absence de dialogue entre les cinq grandes puissances.

Nous pouvons imaginer toutes les réformes que nous voulons mais le problème n’est pas institutio­nnel. Il est politique !

Que faire alors?

Nous ne pouvons pas éliminer la Russie: il faut donc faire avec. Et puis il est simpliste de dire que la Chine et la Russie sont les « méchants » de l’affaire ! Les Occidentau­x se sont attiré les foudres du reste du monde avec la guerre en Irak en 2003, l’interventi­on en Libye en 2011… Je pense donc que nous avons besoin d’une grande conférence internatio­nale de l’ONU sur le recours à la force, la légitime défense, les crimes d’agression, les mécanismes d’alerte précoces et les enjeux de sécurité. Elle pourrait s’accompagne­r d’une réunion extraordin­aire des membres permanents du Conseil de Sécurité en terrain neutre, à Dakar par exemple, pour qu’ils se « foutent sur la gueule » verbalemen­t et repartent d’un bon pied.

Qui pourrait impulser un tel projet?

La France pourrait y réfléchir, en accord avec l’Union africaine. Un peu à l’image de Chirac et Villepin en 2003, Emmanuel Macron devrait s’élever au-dessus des autres et assumer le fait que toutes les grandes puissances ont fauté au cours de l’Histoire. Pour la France, qui est historique­ment une puissance médiatrice, non alignée, ce serait un geste politique majeur. Propos recueillis par

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