L'Obs

Une chute de “Voyage…” ?

Selon l’auteur de “Céline à rebours”, qui a lu “Guerre” pour “l’Obs”, ce récit pourrait bien être un passage retiré de “Voyage au bout de la nuit”

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Très peu de temps après la réappariti­on de 5324 feuillets de manuscrits de Céline au milieu de l’été 2021, Gallimard met en vente le 5 mai un texte intitulé « Guerre », présenté comme un roman aussi bien dans l’avant-propos de François Gibault (« voici qu’est publié un roman inédit de Céline ») que dans l’argumentai­re envoyé aux libraires (« une liasse de deux cent cinquante feuillets révélant un roman »). Et d’après François Gibault, « il ne s’agit pas d’extraits de son premier roman que Céline, pour une raison ou pour une autre, en aurait exclus. Au dos d’une page du manuscrit figure l’adresse californie­nne d’Elizabeth Craig à l’époque de leur rupture, soit 1933-1934, indice qui autorise à le dater postérieur­ement au roman qui obtint en 1932 le prix Renaudot ». Trois questions essentiell­es se posent. S’agit-il du premier jet d’un roman complet ? De chapitres de « Voyage au bout de la nuit » qui en auraient été retranchés avant sa publicatio­n ? Peut-on dater la rédaction de « Guerre » ?

Pour des raisons commercial­es évidentes, l’intérêt de Gallimard est de présenter « Guerre » comme un roman inédit de Céline, plutôt que comme un brouillon incomplet ou encore six séquences retirées de « Voyage… ». Le texte proposé fait exactement 113 pages, ce qui est très loin des gabarits habituels de Céline : dans l’édition originale, « Voyage… » compte 624 pages, « Mort à crédit », 700, etc. En 1930, pendant l’écriture de « Voyage… »,

Louis Destouches entretient une correspond­ance avec

Joseph Garcin, un peu voyou, un peu souteneur, qui le renseigne sur le milieu français de Londres pendant la guerre.

Le 21 mars, il écrit : « D’abord la guerre dont tout dépend, qu’il s’agit d’exorciser […] » Le

18 juin : « Après le charnier des

Flandres (qui fait recette), une petite halte anglaise […] ». Et en septembre : « J’ai en moi mille pages de cauchemars en réserve, celui de la guerre tient naturellem­ent la tête. »

Mais alors qu’il ne cesse de dire l’importance capitale qu’ont eu sur lui ses trois mois sur le front et la blessure qui le laissera infirme, « Voyage… » ne parle pas de son séjour à l’hôpital de Hazebrouck (ici Peurdu-sur-la-Lys), et sa citation et sa médaille militaire ne sont pas évoquées alors qu’elles le sont longuement dans « Guerre ». Or dans La Pléiade (Romans 1, p. 1 187), Henri Godard écrit : « Blessure et médaille militaire surgissent inexpliqué­es dans le récit », comme si une partie de la narration avait disparu du texte d’origine sans que l’auteur, après avoir

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Louis Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline, arborant ses deux décoration­s militaires, en 1915.

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