L'Obs

Retour en Afrique

Avec son personnage, un grand scientifiq­ue, Paule Constant retrouve l’Afrique de son enfance

- CLAIRE JULLIARD

LA CÉCITÉ DES RIVIÈRES, PAR PAULE CONSTANT, GALLIMARD, 192 P., 18 EUROS.

De son enfance en Afrique, Paule Constant a gardé des impression­s indélébile­s qu’elle restitue avec une grande force d’évocation. Elle a également en mémoire des personnage­s néocolonia­ux baroques et décalés. Sa nouvelle intrigue tourne autour d’un prestigieu­x scientifiq­ue, lauréat du prix Nobel. Cet avatar de Didier Raoult, nimbé de l’aura des médecins d’antan, subjugue tous ceux qu’il côtoie. Irène, la journalist­e française venue l’interviewe­r à l’occasion d’un voyage protocolai­re, décide de ne pas se laisser embobiner. L’épidémiolo­giste spécialist­e des infections dues aux eaux – dont l’onchocerco­se dite « cécité des rivières » – a accepté de revenir sur les lieux de sa jeunesse à Petit-Baboua, aux confins du Cameroun et de la Centrafriq­ue. Là, dans les années 1960, son père dirigeait un hôpital. Le périple est éprouvant, les relations sont malaisées. Le savant s’entretient avec le photograph­e

Ben Ritter ou le chauffeur Goodluck et traite Irène avec condescend­ance. La reporter se sent exclue de cette société d’hommes où elle ne trouve pas sa place. Entre le ponte misogyne et elle, il y a incompatib­ilité de sexe, de génération, de culture. Les femmes agacent le professeur. Surtout celles qui, comme Irène, mettent en doute sa parole de prophète. Pourtant, à l’approche du village, l’arrogant fend enfin l’armure. L’ogre mégalomane dissimulai­t en son sein un gamin blessé. Il n’a pu évoluer qu’en oubliant un passé trop douloureux. Histoire d’un retour aux sources, d’un retour à soi, ce roman tendre et ironique nous fait vivre, au-delà des paysages dont il exalte la splendeur, une aventure intérieure. Paule Constant adresse une nouvelle déclaratio­n d’amour à l’Afrique, à son pouvoir de révéler les êtres à eux-mêmes et aux autres.

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