L'Obs

C’est beau Paris la nuit

LES PASSAGERS DE LA NUIT, PAR MIKHAËL HERS. DRAME FRANÇAIS, AVEC CHARLOTTE GAINSBOURG, EMMANUELLE BÉART, DIDIER SANDRE, NOÉE ABITA (1H51).

- SOPHIE GRASSIN

La patte Mikhaël Hers (« Memory Lane », « Amanda ») ? Sonder le passage du temps tout en faisant des lieux filmés, ici l’architectu­re a priori revêche des tours de Beaugrenel­le et de la Maison de la Radio, des personnage­s à part entière, puis porter l’émotion à un très haut degré d’intensité sans jamais sacrifier à l’esbroufe. Dans « les Passagers de la nuit », nocturama sensoriel et presque chuchoté, ce sismograph­e de la mémoire craque une allumette sur ses souvenirs de la décennie 1980 pour retracer par petites touches sept ans au sein d’un cocon familial. Liesse dans les rues de Paris – Mitterrand accède enfin à L’Elysée. Le chagrin, lui, joue à domicile : quittée par son mari, Elisabeth (Charlotte Gainsbourg), deux enfants bientôt adultes, les cicatrices d’un cancer du sein, doit chercher un boulot. Elle le trouve au standard d’un rendez-vous radiophoni­que nocturne, espace de tolérance, de bienveilla­nce, animé, dans la fumée de cigarettes, par Vanda Dorval (Emmanuelle Béart, dans un rôle très court). Et recueille chez elle Talulah (Noée Abita), ado punk et double vocal de la Pascale Ogier des « Nuits de la pleine lune », d’Eric Rohmer, que la jeune fille va bientôt découvrir au cinéma avant de s’éclipser. Avec une patience amoureuse, Hers donne de l’ampleur et du souffle aux regards croisés, aux moments en suspension, mais aussi à l’infra-ordinaire de deux éducations sentimenta­les symétrique­s, celles d’Elisabeth et de son fils, et à un épanouisse­ment – renaissanc­e hertzienne et « hersienne » – sur fond de Joe Dassin, dont on avait oublié que les textes puissent émouvoir à ce point.

Elégantes nappes électro, sonorités de l’époque, extrait furtif du « Pont du Nord », de Jacques Rivette (montré dans le métro), grain doux de plans tournés en pellicule, beauté pudique de dialogues profonds distillent un charme qui ne rompt pas. La douceur mélancoliq­ue de Charlotte Gainsbourg – chêne du clan en dépit de sa timidité –, contrainte de faire le deuil d’une première vie (le deuil n’est jamais enfoui très loin chez Hers), y est aussi pour beaucoup : l’actrice accompagne de sa note très juste « les Passagers de la nuit », au sens musical du terme. Contribue à l’enrober dans sa gangue délicate et désenchant­ée. Laisse de la place aux silences, lui imprime son rythme secret. Trace du spleen d’une période où le pragmatism­e aura eu la peau des idéaux, ce film sensible, saga de nos vies minuscules fondée sur l’imaginaire, ressemble à une étoile filante par ciel couvert.

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Charlotte Gainsbourg et Emmanuelle Béart.
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