Fragilité numérique
Une semaine d’avril de l’année 2022 eurent lieu presque concomitamment deux événements dont nos aïeux choisirent de ne pas voir ce qui les reliait. Cette semaine-là, le monde apprit avec frayeur que ce qu’on appelait alors un « réseau social », en l’occurrence Twitter, plateforme permettant de di user des opinions et des informations sous la forme de quasiaphorismes, structurellement déficitaire, minoritaire dans l’usage, mais très prisée des décideurs de tout poil, allait être racheté par l’homme le plus riche de l’époque : Elon Musk, d’origine sud-africaine, s’était enrichi dans l’entreprenariat tech de la Silicon Valley qui, en ce début du e siècle, n’était pas encore un pays mais une sousrégion de l’ancienne Californie. Si cette nouvelle remua le monde, c’est que, selon les débats de l’époque, Elon Musk déclarait vouloir rendre à cette plateforme sa liberté d’expression mais semblait avoir une conception tout à fait personnelle de cette même liberté d’expression. Cette même semaine, dans l’ancienne France, on découvrit un matin que des câbles fournissant ce qu’on appelait encore « internet » à un nombre considérable de foyers, d’entreprises et d’institutions, avaient été sectionnés, les privant de l’accès au réseau. Bien sûr, tout cela fut vite rétabli, mais c’était une première : une attaque coordonnée, en plusieurs lieux du territoire, avait eu pour cible des infrastructures relativement profondes et discrètes (ces câbles passant sous le sol). En l’espace de quelques jours, nos ancêtres avaient donc tout pour se rendre compte de l’intense fragilité de l’univers numérique : un propriétaire qui change et les conditions d’exercice de la parole de millions de gens de par le monde sont menacées ; quelques câbles sectionnés et l’internet vacille.
Ils auraient pu en tirer une leçon, mais ont préféré continuer à transférer leurs existences dans leurs machines connectées. Avec les conséquences que l’on sait.