L’ÉDUCATION SENTIMENTALE UNE HISTOIRE D’AMOUR ET DE DÉSIR
Drame franco-tunisien de Leyla Bouzid (2019). Avec Sami Outalbali, Zbeida Belhajamor, Aurélia Petit. 1h42.
Il suffit de quelques plans – l’étrangeté de gouttes d’eau sur une paroi vitrée, la vérité d’une volée de visages anonymes saisis dans un RER matinal – pour savoir que ce film va nous couper le souffle. Ahmed, 18 ans, Français d’origine algérienne non arabophone élevé dans une cité, intègre un cursus de littérature arabe érotique à l’université. Il y croise Farah, bombe tunisienne rousse, avec qui il court les librairies et les quais de Seine la nuit. Il en tombe fou amoureux, bien entendu, mais, empêché par les injonctions auxquelles sa culture l’assigne, résiste à son désir. Ce jeune homme de banlieue fermé, qui mate du porno en douce, n’a pas retenu toutes les leçons dispensées par sa prof de lettres (Aurélia Petit) – « Au e siècle, le désir est loi, et la jouissance fait ordre ». Il va devoir s’ouvrir à la langue arabe ; à son père, ex-journaliste exilé en France pendant les années noires, désormais chômeur amer et squatteur en chef du canapé familial ; à la beauté de ces mots dont une vague submerge, parfois, tout l’écran. Pour accompagner au mieux ce récit d’apprentissage et d’émancipation sentimentale, la Tunisienne Leyla Bouzid s’est nourrie de la mélancolie des photographies de Nan Goldin et des postures magnifiées par le peintre Egon Schiele.
Trait d’encre dessiné sur un dos, danse voluptueuse de Farah un 31 décembre (elle embrasse Ahmed, il se dérobe), transe d’Ahmed à une cérémonie de mariage – sa frustration déborde –, la caméra ne cesse d’effleurer, de caresser ses personnages avec une délicatesse à nulle autre pareille. Ici, lorsque Ahmed se plie à l’exercice d’un exposé tant redouté (l’oral, on l’aura compris, n’est pas son fort), c’est à Farah qu’il s’adresse. En interrogeant le rapport à la virilité, la transmission, ce grand film politique et sensuel a le mérite de donner une représentation inhabituelle de la quatrième génération issue de l’immigration. Il le doit à l’intelligence du scénario de Leyla Bouzid, au raffinement de sa mise en scène et à deux acteurs captivants, Zbeida Belhajamor et Sami Outalbali (photo), dont il va falloir apprendre à retenir les noms.