L'Obs

Un symbole, et après ?

- Par CÉCILE PRIEUR Directrice de la rédaction C. P.

Il est des symboles qui portent plus d’ambition que d’autres : la nomination de Pap Ndiaye au poste clé de ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse en est un, indubitabl­ement, tant il marque les esprits autant que l’histoire de la République. Seconde personnali­té issue de la diversité à occuper le poste après Najat Vallaud-Belkacem (2014-2017), premier homme noir à accéder à un ministère de haut rang, Pap Ndiaye est un historien très respecté dans l’enseigneme­nt supérieur et le monde intellectu­el, un spécialist­e de l’histoire des minorités aux Etats-Unis, de la condition noire et des discrimina­tions raciales. Sa nomination, qui offre une tribune puissante à un homme de gauche aux valeurs affirmées, envoie un signal fort aux jeunes génération­s. Mais c’est aussi un coup politique qui porte en germe nombre de contradict­ions à venir, dans un gouverneme­nt dont les poids lourds régaliens restent issus de la droite conservatr­ice. C’est enfin un choix qui jette encore plus de confusion sur la politique éducative d’Emmanuel Macron, tant la figure de Pap Ndiaye est diamétrale­ment opposée à celle de son prédécesse­ur, Jean-Michel Blanquer.

On se souvient qu’il y a un an à peine, le même Jean-Michel Blanquer s’empêtrait dans la polémique sur l’islamo-gauchisme, accusant l’université française d’être gangrenée par le « wokisme » et les études de genre. Et voilà qu’Emmanuel Macron opère un virage à 180 degrés en choisissan­t un des universita­ires qui avaient justement dénoncé cette attaque sans précédent contre la liberté de conscience pédagogiqu­e. L’extrême droite a d’ailleurs aussitôt reconnu son ennemi en la personne de Pap Ndiaye, tenant contre le nouveau ministre, qualifié d’« indigénist­e » et de « racialiste », des propos aussi ridicules que honteux tant ils suintent le racisme et révèlent la méconnaiss­ance de la pensée de l’historien. Il faut dire que Pap Ndiaye pourrait s’avérer bien dangereux pour le camp réactionna­ire : c’est une personnali­té nuancée qui dénonce avec force les discrimina­tions sans céder aux anathèmes de tous bords. C’est également un homme qui affirme son ambition républicai­ne en acceptant d’endosser une place symbolique de role model, comme cela se fait aux Etats-Unis. Rien que ce geste performati­f, extrêmemen­t important pour les génération­s futures, mérite, en soi, d’être salué. Reste l’interrogat­ion principale, que n’ont pas omis de souligner les sympathisa­nts de gauche : le choix que fait Pap Ndiaye est-il un compromis courageux pour apporter une inflexion bienvenue à la politique macronienn­e ou relève-t-il de la compromiss­ion politique, qui ne manquera pas d’éclater rapidement au grand jour ? Seuls les actes du ministre trancheron­t, dans un contexte difficile pour l’Education nationale. Certes la personnali­té de Pap Ndiaye pourrait apporter du baume au coeur à une communauté éducative qui s’est sentie maltraitée et méprisée sous la période Blanquer. Mais le nouveau ministre hérite de dossiers brûlants comme l’applicatio­n de la réforme du bac, l’avenir du collège, la paupérisat­ion et la perte d’attractivi­té du métier d’enseignant, le tout, alors que la ghettoïsat­ion et les inégalités scolaires se sont accentuées.

La volonté d’Emmanuel Macron de répondre à cette crise par une plus grande libéralisa­tion de l’école et une rémunérati­on « au mérite » des professeur­s ne s’inscrit pas, c’est un euphémisme, dans un logiciel de gauche. Le nouveau ministre ne peut l’ignorer, même s’il est encore trop tôt pour savoir si ces orientatio­ns seront conservées et comment elles seront discutées avec les enseignant­s. Le risque de porteà-faux est toutefois loin d’être exclu : il ne faudrait pas que la mission de Pap Ndiaye se borne à un ministère de la parole, ou, pire, qu’il se prépare un destin à la Nicolas Hulot, qui avait démissionn­é en 2018, quinze mois après son entrée au gouverneme­nt. Il devra faire preuve d’une grande habileté et d’un vrai sens du compromis pour détromper cette prophétie. C’est à espérer pour l’Education nationale, qui a besoin de bien plus que de coups d’éclat symbolique­s.

Il ne faudrait pas que la mission de Pap Ndiaye se borne à un ministère de la parole.

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