L'Obs

Le mystère Guérard

CES PRINCES, PAR CATHERINE GUÉRARD, ÉDITIONS DU CHEMIN DE FER, 120 P., 15 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Somme toute, les oeuvres complètes de Catherine Guérard ne comptent que deux brefs romans. Sa légende est parcimonie­use. Elle serait même effacée, si les Editions nivernaise­s du Chemin de fer n’avaient eu le bon goût de republier l’an passé « Renata n’importe quoi », son second roman, paru en 1967 chez Gallimard. C’est le monologue halluciné et combatif, en une seule phrase sans ponctuatio­n, haletante comme un unique plan-séquence, d’une bonne à tout faire, qui claque la porte de ses patrons et décide de devenir « une libre ». Elle erre dans la grande ville pendant trois jours jusqu’à perdre la raison. Après ce récit d’une fuite sans retour, qui frôla le Goncourt, Catherine Guérard disparut à son tour. Voulait-elle aussi être « une libre » ? Le mystère n’a jamais été levé. On sait seulement que, née en 1929, elle est morte en 2010. Que le « François » à qui elle dédia « Renata » était François Mitterrand et qu’elle eut une liaison avec l’écrivain Paul Guimard.

La réédition de son premier livre, « Ces princes », paru à la Table Ronde en 1955, ajoute encore à l’énigme de cette romancière météorique. Car si « Renata » évoque Beckett, « Ces princes » lorgne du côté de Feydeau. L’un est dans une langue syncopée, essoufflée, l’autre dans une prose précieuse, un rien démodée. Seul point commun entre les deux : la détestatio­n farouche des convention­s. Lors d’un dîner mondain, Antoine Villaert, 20 ans, polytechni­cien versé dans l’édition, tombe amoureux d’un général, par ailleurs « musicien, amateur d’art et bibliophil­e », qui le lui rend bien. Leur idylle romantique prospère jusqu’au jour où la guerre est déclarée. Antoine est envoyé au front, mais ne tarde pas à déserter. Le général ne sait plus s’il doit condamner l’insoumis, qui s’est déguisé en curé, ou céder aux sentiments qu’il éprouve pour son jeune et candide amant. Et laquelle, de la patrie en danger ou de la passion amoureuse, il doit servir. Ce vaudeville cornélien, la primo-romancière se garde bien de le pousser vers la farce, elle préfère en tirer une fable. La flûte plutôt que la trompette. Avec, en têtes de chapitre, des citations de Stendhal, Nietzsche, Musset, mais surtout Verlaine et Rimbaud. Autant de références derrière lesquelles continue de se cacher l’indéchiffr­able et captivante Catherine Guérard.

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Catherine Guérard en 1967.

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