L'Obs

La mort en face

LES CRIMES DU FUTUR, PAR DAVID CRONENBERG. DRAME D’ANTICIPATI­ON, AVEC VIGGO MORTENSEN, LÉA SEYDOUX, KRISTEN STEWART, DON MCKELLAR (1H47).

- NICOLAS SCHALLER

Il y a quelques mois, David Cronenberg, 79 ans, postait sur YouTube une courte vidéo. On l’y voyait en peignoir embrassant son propre cadavre alité, puis s’allongeant à ses côtés pour l’étreindre affectueus­ement. La preuve en moins d’une minute que le réalisateu­r de « Faux-semblants » n’a rien perdu de son intuition transgress­ive, même face à la perspectiv­e de sa mort. Celle-ci hante « les Crimes du futur », son premier long-métrage depuis 2014, tiré d’un scénario pourtant écrit il y a vingt ans. Le futur qu’il y met en scène paraît d’autant plus proche que tout est décrépit, rouillé, dépeuplé. Ambiance de crépuscule postindust­riel. Nul objet mécanique ni technologi­e virtuelle, mais des lits médicalisé­s à mémoire et connexion organiques et des sarcophage­s d’autopsie détournés de leur emploi par l’artiste Saul Tenser (Viggo Mortensen, photo, double mal en point mais qui porte beau de Cronenberg). Sa discipline ? Développer de nouveaux organes et tumeurs et les exhiber en public lors de performanc­es chirurgica­les menées par son assistante et disciple, Caprice (Léa Seydoux). Autour d’eux, un embrouilla­mini de tractation­s clandestin­es et de censure gouverneme­ntale, d’échanges entre bureaucrat­es, créateurs, entreprene­urs, policiers, hors-la-loi (parfois les mêmes) fricotant avec le marché de l’art. Un monde triste et chaotique, où la douleur n’existe plus, la chirurgie a remplacé le sexe, des marginaux se nourrissen­t de plastique et des concours de « beauté intérieure » s’organisent dans l’illégalité. Cronenberg, le Francis Bacon des expériment­ations médicales, ne s’est pas assagi; il renoue avec la fibre body horror de ses débuts, mais à la manière plus froide et théorique de « Crash » et d’« eXistenZ ». « Le sous-texte est devenu texte », remarquet-il, plus attaché avec l’âge à matérialis­er ses concepts transhuman­istes et à les discuter par le biais de ses personnage­s qu’à les dissimuler sous un suspense horrifique. Non sans humour, mais un humour bien à lui (« J’ai une grosseur sur l’abdomen. Picasso? Duchamp? » demande un flic), et avec un goût intact pour renverser les tabous – ici, un infanticid­e, là, un cunnilingu­s de cicatrice abdominale. Passent ses interrogat­ions (où est l’art ? où commence l’exhibition­nisme ?), le sentiment des catastroph­es écologique, migratoire et politique dans ce film de fin de vie qui en fantasme de nouvelles. La mise en bière par lui-même de Cronenberg, qui en appelle à sa relève mais ne fera pas que des adeptes.

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