L'Obs

Kendrick Lamar en thérapie

MR. MORALE & THE BIG STEPPERS, PAR KENDRICK LAMAR (UNIVERSAL).

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Son dernier album, « Damn », datait de 2017 et lui avait valu le prix Pulitzer dans la catégorie musique. Sur la couverture de « Damn », on voyait un homme solitaire. Sur celle de « Mr. Morale & The Big Steppers », son cinquième disque, le rappeur Kendrick Lamar pose en père de famille, avec madame et leurs deux enfants. Ajoutez deux autres accessoire­s : la couronne d’épines du Christ, mais aussi son glaive, sous la forme plus contempora­ine d’un revolver. Dans cette nouvelle oeuvre, où les meilleurs morceaux sont les plus dépouillés, où, çà et là, passent des accords de piano laconiques, qui semblent hésiter entre le jazz et Debussy, où « Crown » sonne comme ces magnifique­s chansons que Lou Reed et John Cale ont écrites en hommage à Andy Warhol, Lamar ne répugne pas à coi er la couronne de porte-parole de la communauté noire que lui tend l’Amérique. Dans la vidéo « The Heart Part 5 », il se métamorpho­se en OJ Simpson, Will Smith, Kobe Bryant, etc., comme s’il voulait faire siennes toutes les tragédies, toutes les névroses, toutes les contradict­ions de cette communauté.

Comme disait Fanon, Lamar est « un homme qui s’interroge ». Il s’interroge sur la violence qui persécute les Américains noirs (la couronne d’épines), mais aussi sur celles dont ils se rendent coupables (le glaive-revolver) . Il se souvient du jour où il a couché pour la première fois avec « une chienne blanche », dit-il : « J’ai découvert que son papa était shérif/Il avait arrêté Oncle Perry/Elle a payé pour les péchés de son papa… » Eternel thérapeute de luimême, il questionne son propre racisme, sa misogynie et celle des rappeurs, qu’il semble vouloir attribuer aux traumas sexuels qu’a subis leur enfance. Il s’interroge sur son homophobie, sur sa tante devenue un homme ou sur son cousin devenu une femme (« Auntie Diaries »). Quant à « We Cry Together », avec Taylour Paige, c’est une scène de ménage anthologiq­ue, atomique, tragi-comique. Mars contre Vénus ? Strindberg à Compton ? Qu’on se rassure : dans ce marivaudag­e fou de rage, les deux guerriers passeront insensible­ment du « Fuck You » au « Fuck Me ». FABRICE PLISKIN

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