UN ÉCOLOGISTE AVANT L’HEURE
GAUDÍ, LE GÉNIE VISIONNAIRE DE BARCELONE
Documentaire d’Edouard Toda et Pascal Cuissot (2022). 52 min.
« Seuls les chemins tracés par les hommes sont rectilignes dans la nature. En dehors de ceux-ci, dans la forêt, on marche constamment en zig-zag », note l’architecte catalan Joan Olona à propos de la Casa Batlló dont les murs courbes et les formes sinueuses s’imposent, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Dans cette oeuvre d’art totale classée au patrimoine mondial de l’Unesco, emblème flamboyant du « modernisme catalan », que ce remarquable documentaire d’Arte nous fait visiter en spectateurs privilégiés, tout est mouvement. Chez Gaudí, la nature est intrinsèque : il ne copie ni n’intègre ses formes, il les crée dans un langage original que détaille le réalisateur sous nos yeux ébahis. Sur le fameux Paseo de Gracia, inspiré des Champs-Elysées, où les architectes barcelonais (Domènech i Montaner, Puig i Cadafalch) du e siècle naissant rivalisent de créativité au service de la nouvelle bourgeoisie, Gaudí fait preuve d’une excentricité époustouflante mais jamais gratuite. Derrière la spectaculaire façade organique, miroitante de mosaïques colorées, s’articule un univers où tout est pensé – de la structure jusqu’au moindre détail décoratif – dans une ambiance inspirée de l’univers marin de Jules Verne, alors à la mode. Le grand puits central carrelé de nuances de bleu permet à la lumière d’entrer mais aussi à l’air de circuler, l’espace végétal de la terrasse filtre les bruits de la ville et le trencadis, mosaïques à base d’éclats de céramique, recycle les rebuts de l’industrie de manière artisanale… « Gaudí voyait en chaque objet, chaque pierre, chaque plante, une valeur et une beauté. Ce respect de chaque chose a déterminé sa façon de travailler. De toute évidence, il était écologiste avant l’heure », analyse l’historienne de l’art Mireia Freixa. Sans esquiver les contradictions du personnage à la fois moderne et très conservateur d’un point de vue moral, ce film rend un bel hommage à l’indéniable génie de l’architecte, « intuitif, mystique et mathématicien », selon le peintre et sculpteur Miquel Barceló. La Casa Batlló en exprime la fascinante complexité.