L'Obs

LA RÉSISTANCE PAR MELVILLE

L’ARMÉE DES OMBRES

- FRANÇOIS FORESTIER

Film d’espionnage français de Jean-Pierre Melville (1969). Avec Simone Signoret, Lino Ventura, Paul Meurisse. 2h30.

C’est l’un des plus beaux films de Melville. C’est aussi le plus beau film sur la Résistance. « L’Armée des ombres », sorti en 1969, dans la foulée de Mai-68, n’a pas eu la carrière qu’il méritait : cette saga dépouillée et funèbre, à l’époque, a été jugée trop gaulliste dans sa mythologie (tous les Français sont résistants) et dans son positionne­ment politique (à la fin des années 1960, de Gaulle est une figure du passé, honnie par la jeunesse). Il aura donc fallu des années pour que le film, peu à peu, gagne la reconnaiss­ance des cinéphiles, et ce n’est que justice. Il faut se replonger dans le livre de Joseph Kessel dont il est inspiré pour juger : le récit de l’auteur, porté par une plume enthousias­te, est déstructur­é, fabriqué comme un patchwork d’émotions et d’anecdotes. Le récit de Melville est rigoureux, cristallin. En deux heures trente, le cinéaste suit les destinées de plusieurs personnage­s, Gerbier (Lino Ventura), Mathilde (Simone Signoret), Jardie (Paul Meurisse), Lepercq (Paul Crauchet), « Le Bison » (Christian Barbier) et « Le Masque » (Claude Mann), et raconte une terrible leçon des ténèbres. Melville (de son vrai nom Jean-Pierre Grumbach) a lui-même été un héros de la Résistance, et a souvent évoqué cette période en disant que c’était « la plus belle partie de sa vie », à 20 ans. Membre de la France libre en 1942, débarqué en Provence, participan­t aux combats terribles de Monte Cassino, il s’est forgé une vision, une philosophi­e de la guerre. Plus tard, cette façon de voir est devenue une forme de défi. C’est ainsi que, mystérieus­ement, il affirmera à la télévision que lorsqu’il rencontre un ancien SS dans un débat, il le considère « avec respect ». Il y a de la provocatio­n là-dedans, et une forme de nostalgie. A revoir « l’Armée des ombres », on distingue l’exaltation du réalisateu­r pour l’héroïsme suicidaire, au nom des plus hautes valeurs humaines. C’est ce qui fait tout le prix du film, cette tonalité nocturne, cette aventure superbe d’hommes et de femmes qui ne se résignent pas devant la bête immonde.

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