L'Obs

“JE ME SUIS EFFONDRÉ AU TRAVAIL”

ARNAUD*, 28 ANS, RESPONSABL­E ADMINISTRA­TIF

- Propos recueillis par HENRI ROUILLIER

Longtemps, la coke m’a rebuté. J’ai essayé une première fois il y a quelques années, par curiosité, et je n’ai pas aimé ça. Je n’ai ressenti aucun effet, sans doute parce que j’avais peur et que je n’étais pas du tout du genre à me laisser aller. Ensuite, je suis parti travailler à l’étranger et j’ai atterri dans une coloc où il y en avait, de manière complèteme­nt banalisée. Les premières soirées, j’ai essayé une ou deux traces, comme ça. Et puis on s’est mis à sortir beaucoup. C’était la vie d’expat, j’étais dehors presque tous les soirs. L’entreprise pour laquelle je travaillai­s était en pleine expansion, j’ai vite eu de plus en plus de choses à faire, au point de rapporter du boulot le week-end. Je n’avais plus de temps pour moi. J’avais envie de décompress­er après les grosses journées mais j’étais tellement fatigué que la cocaïne était le seul moyen que j’avais trouvé pour avoir un peu d’énergie. Je suis quelqu’un de timide et réservé. La cocaïne me permettait de suivre plusieurs conversati­ons en même temps. Elle me donnait l’extraversi­on que je n’avais pas et je ne l’associais pas encore aux horribles descentes du lendemain. Au début, je prenais un demi-gramme, puis je suis passé à un gramme… Et à la fin, dans mon groupe d’amis, on était tous à 4 grammes par soirée et par personne. Le piège s’est refermé à ce moment-là : j’en prenais le soir donc je ne dormais pas. Je ne dormais pas donc j’en prenais le matin avant d’aller travailler pour être en forme. On ne se voit pas tomber. J’ai fini par aller voir une psy. Je me sentais triste et fatigué, je commençais à avoir des idées noires mais je n’arrivais pas à m’arrêter. Le manque physique était trop difficile à gérer. Même pour sortir acheter des clopes, il me fallait une trace. Je me suis mis à avoir des absences. Je regardais ma montre très régulièrem­ent pour avoir une idée de leur durée. Une fois, je me suis retrouvé debout au milieu d’un rond-point sans savoir comment j’étais arrivé là. Et puis un jour, je suis arrivé au travail, j’ai mis la main sur la poignée de la porte et je me suis effondré. Je ne me souviens de rien, on m’a raconté. J’ai perdu connaissan­ce et quand je me suis relevé, j’ai senti un basculemen­t dans ma tête. Je pense que mon cerveau a dit stop. Ma psy m’a orienté vers un psychiatre qui m’a prescrit des antidépres­seurs et des anxiolytiq­ues. Je me disais que mon boulot était ce qui me maintenait en vie, mais en fait c’est ce qui me tuait. Le psychiatre m’a arrêté. J’ai dormi des journées entières, parfois pendant seize heures. J’ai fini par rentrer en France où j’ai passé presque neuf mois au lit, avec des tremblemen­ts. Aujourd’hui, je vais beaucoup mieux, j’ai retrouvé un emploi et même si j’ai pu en reprendre depuis que je suis rentré, je vais arrêter. Chaque fois, je me dis que ça ne sert à rien.

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