L'Obs

Le parasite d’Elvis

Campé par un Tom Hanks méconnaiss­able sous les prothèses et le maquillage, le colonel Parker fut le manager d’Elvis durant toute sa carrière. Et un escroc

- Par FRANÇOIS FORESTIER

Disons le colonel Tom Parker, faute de mieux. Car il n’était pas colonel, pas américain, pas plus Tom que Parker. Dans « Elvis », sous les traits d’un Tom Hanks rembourré, il est tantôt un salaud détrousseu­r, tantôt un papy cyniquemen­t protecteur, mais le film ne lui rend pas justice : Parker a quand même réussi à transforme­r le King du rock’n’roll en bonhomme de guimauve, à aligner 30 millions de dollars de dettes de jeu à Las Vegas sans que Joe Pesci lui fracasse les genoux, à produire une trentaine de films gélatineux, et à mourir dans son lit à 87 ans, heureux escroc, déclarant « On a fait du bon boulot », pour toute oraison. Parker, le maître des illusions.

En 1955, à Texarkana, pays des rednecks, un vague imprésario obèse se fraie un chemin entre les cracheurs de feu et avale des poignées de poivre noir. Minable traînesava­te de foire, il repère un gamin qui soulève la tempête sur scène et fait s’évanouir les filles en chantant « A wop bop a loo bop a lop bam boom ». Parker le signe et, quand des tourneurs veulent engager Presley, il dit simplement : « Vous apportez 50000 dollars en cash, vous les posez sur mon lit. Si c’est assez, Elvis viendra. Sinon, je garde l’argent pour le dérangemen­t. » Gros joueur, gros perdant, le « colonel » Parker a un passé flou : membre d’une secte de l’Armée du Salut, il a élevé des poulets, a dressé des poneys, a été classé déserteur de l’armée des Etats-Unis et, en voyant par hasard Spencer Tracy tourner un film à Tampa, en 1942, il s’est tourné vers Hollywood. Quinze ans plus tard, devenu agent artistique d’Elvis, il entre dans le bureau de Hal Wallis, producteur chez Paramount, et exige un million de dollars pour « le Cavalier du crépuscule ». Wallis : « Même Brando n’obtient pas ça. » Parker : « Alors il a besoin de changer de manager. »

C’est parti. Parker surfe sur le succès de son poulain, case son imposant pétard dans un fauteuil Régence, s’entoure de photos de stars, bouffe du poivre noir et, à chaque fois qu’il gagne des sous (dont, souvent, Elvis ne verra pas la couleur), envoie une saucisse fumée à son correspond­ant, pour remercier. Il reçoit ses visiteurs assis sur le pot, écoute Wallis dire : « Elvis a du magnétisme », et répond, par la porte ouverte des vécés : « Sans moi, son magnétisme lui servirait à conduire un camion. » Quand Paramount accepte de tourner une série de films hawaïens avec le King en chemisette à fleurs, Parker marque le coup avec un cadeau royal à Wallis : une vache, une vraie. S’ensuivent des nanars qui sont des sommets du kitsch, comme « Blondes, brunes et rousses », « Des filles… encore des filles » ou « C’est la fête au harem ». Pour des raisons fumeuses, Parker interdit à son poulain de se produire à l’étranger – Elvis ne mettra jamais les pieds en dehors de l’Amérique, sauf pour faire son service militaire en Allemagne. Pour satisfaire son addiction au jeu, le colonel impose au King de se produire à Las Vegas (deux shows par jour, sept jours sur sept). Celui-ci sombre. Il commence à se gaver de pilules, pour dormir, pour se réveiller, pour relever la tour de Pise, pour tout. Il grossit. Un jour, il se rebelle : « J’en ai marre de faire des films où je commence par me bagarrer et où je finis par embrasser le chien! » Parker hausse le ton. Elvis fond en larmes. Désormais, Parker engrange des chèques déments et distribue des pourboires étonnants : des sandwichs récupérés à la cantine du casino.

Quand on lui annonce la mort d’Elvis au téléphone, le colonel Parker dit : « Bon. J’arrive » et vient à l’enterremen­t en chemise hawaïenne. En 2000, trois ans après la mort de Parker, une journalist­e américaine, Alanna Nash, apprend qu’Anna Van den Enden, épouse d’un marchand de patates à Breda, aux Pays-Bas, a été tabassée à mort en mai 1929. Son mari, un nommé Andreas Cornelis van Kuijk, a disparu, embarqué pour l’Amérique sur un bateau de whisky de contreband­e. Autour du cadavre de la jeune femme, du poivre noir. Pour égarer les chiens. ■

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Tom Parker et sa poule aux oeufs d’or, en 1964.

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