L'Obs

Absurde mais vrai

INCROYABLE MAIS VRAI, PAR QUENTIN DUPIEUX. COMÉDIE FRANÇAISE, AVEC ALAIN CHABAT, LÉA DRUCKER, BENOÎT MAGIMEL, ANAÏS DEMOUSTIER (1H14).

- NICOLAS SCHALLER

Il compte les Monty Python et Bertrand Blier parmi ses maîtres, mais c’est de Jean-Pierre Mocky qu’on serait tenté de le rapprocher, eu égard au rythme de sa production (un titre par an) et à ses manières de franctireu­r, aimant à vedettes. Quentin Dupieux est un petit chimiste de l’absurde. Film après film, tous brefs et barrés, plus réussis quand les genres s’hybrident, l’angoisse sourd et le flou demeure (« Réalité », « le Daim »), il construit une oeuvre unique en mode mineur – gamme appréciée en musique (Dupieux fait aussi de l’électro sous le pseudo de Mr. Oizo) pour sa tonalité mélancoliq­ue. « Mandibules » ouvrait son cinéma à une veine plus potache et lisible que prolonge « Fumer fait tousser », présenté lors du dernier Festival de Cannes. Tourné entre les deux, « Incroyable mais vrai » s’inscrit au croisement du cauchemard­esque et du léger. Résumons : un couple (Alain Chabat et Léa Drucker) s’achète le pavillon de banlieue dont il rêvait. Lui, agent d’assurances, aspire à une vie paisible, elle, chagrinée par son âge, mettrait bien du piquant dans leur quotidien. Une trappe aux vertus surnaturel­les, située dans leur cave, va bouleverse­r leur relation. Difficile d’en dire plus au risque de vous gâcher le plaisir, ce que l’on vient avant tout chercher chez Dupieux : le terrain de jeu, l’aspect ludique d’un monde qui ressemble au nôtre, mais où tout peut arriver. Des personnage­s aux dialogues, l’univers d’« Incroyable mais vrai », confit dans une image terne aux couleurs passées, respire la banalité. Chabat et Drucker campent un couple plan-plan, leurs amis, Benoît Magimel et Anaïs Demoustier, sont d’une vulgarité très ordinaire dans ce qui s’apparente, au début, à une parodie du cinéma français deux-pièces-cuisine. Quand, au détour d’une visite immobilièr­e puis d’une conversati­on lors d’un dîner, le film fait un pas de côté, puis deux, tout se décale. Pas assez : on peut regretter qu’il ne creuse pas davantage le potentiel vertigineu­x de cette trappe, idée métaphysiq­ue digne d’un épisode de « la Quatrième Dimension », au profit d’un comique plus signifiant qu’à l’accoutumée. « Incroyable mais vrai » s’amuse de la routine du couple, de la peur de vieillir, du jeunisme et de ses injonction­s performati­ves : fraîcheur chez les femmes, virilité chez les hommes. Avec une Léa Drucker fatiguée et une Anaïs Demoustier à voix de crécelle, une fois de plus parfaites, un Chabat bon esprit et un Magimel exceptionn­el en beauf à bite électroniq­ue et aux répliques ad hoc : « Un homme, c’est quelqu’un qui doit savoir manipuler les armes à feu, et de toutes les tailles ! »

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Léa Drucker.
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