LE GRAND NULLE PART
Série comique et polardeuse à la fois, “The Tourist”, qui a cartonné sur la BBC, transpose avec bonheur le style des frères Coen dans la cambrousse australienne.
LUNDI 21H10 FRANCE 2
Ça commence par une course-poursuite en forme d’hommage à « Duel », le film de Spielberg : dans un patelin aride, un automobiliste dont on ignore tout tente d’échapper aux coups de boutoir d’un camionneur sans visage. Passé cette entrée en matière, « The Tourist » se fond dans le moule narratif de « la Mémoire dans la peau ». Percuté, l’homme au volant se réveille amnésique : aidé d’une apprentie fliquette complexée et d’une serveuse à l’empathie douteuse, il a six épisodes pour reconstituer cette part de vérité sur lui-même qui l’a placé en si mauvaise posture.
Ainsi pourrait-on résumer l’intrigue de « The Tourist », série australo-britannique tricotée par deux frères, Jack et Harry Williams (« The Missing »), qui a pulvérisé en début d’année les records d’audience sur la chaîne de streaming de la BBC. Depuis, aucun contenu n’a rassemblé autant de fidèles que cet aimable petit thriller qui a su captiver 18 millions de téléspectateurs par ses arabesques narratives et son humour grinçant.
On comprend aisément pourquoi, eu égard à l’efficacité du concept, jeu de piste débordant d’action et de situations absurdes, comme à l’exotisme du cadre. Avec ses ploucs inquiétants, ses routes longilignes, ses villages saturés de poussière et sa nature accidentée, l’arrière-pays australien est un décor qui nourrit depuis près d’un demi-siècle un imaginaire de cinéma riche et éprouvé, du délétère « Wake in Fright », de Ted Kotcheff, sorti en 1971 (le cauchemar d’un petit prof suant, englué dans un bled paumé, chef-d’oeuvre à redécouvrir) aux nombreux délires post-apocalyptiques de la saga « Mad Max », de George Miller, qu’on ne présente plus.
Sans atteindre ces sommets, « The Tourist » profite d’autant plus astucieusement de ce background géographique et culturel qu’elle se contente le plus souvent d’y décalquer ses multiples références hollywoodiennes. Outre celles déjà citées, on pense surtout à l’atmosphère mi-burlesque, mi-glaçante du célébrissime « Fargo » des frères Coen (tourné par moins 20 °C dans les congères du Minnesota) déployée ici avec bonheur dans le no man’s land caniculaire du bush. Les frères Williams n’ont pas jugé utile d’arpenter l’île continent pour trouver l’inspiration. Londonien pur sucre, l’aîné, Jack, confiait à la BBC, au moment de la diffusion de la série en Angleterre, qu’il s’était contenté de se rémémorer un vieux souvenir de road-trip en Australie pour se rendre à l’évidence : ce pays était taillé sur mesure pour leur scénario. « Perdre sa mémoire et son identité dans la plus grande étendue de terre pelée au monde, on ne pouvait pas rêver meilleure option dramatique », renchérissait son frère Harry et compère d’écriture.
La réussite de « The Tourist » tient aussi à son casting, savant mélange de trognes impayables, de clowns blancs et d’augustes grimaçant sous le cagnard. Si on ne tombe pas nécessairement en pâmoison devant la composition minimaliste de l’acteur irlandais Jamie Dornan (photo), repéré en playboy déviant dans la franchise nanardeuse « Cinquante Nuances de Grey » (il campe ici le héros amnésique), on conviendra que ses manières rugueuses et son regard d’épagneul ont le mérite de faire briller ses partenaires. A commencer par la formidable Danielle Macdonald, qui, dans le rôle d’une policière stagiaire aux jambes flageolantes, s’accapare le plus gros des scènes comiques grâce à un cocktail de gaucherie et de ténacité des plus subtil et enivrant.