LE DORIAN GRAY DE HOLLYWOOD TOM CRUISE, CORPS ET ÂME
Documentaire français de Régis Brochier (2020). 52 min.
23h00 ARTE
Cofondateur de l’excellent site Nanarland, exploration riche et très drôle de ce que l’histoire du cinéma renferme d’objets improbables, Régis Brochier n’a pas cherché dans ce documentaire à exhumer les soubassements honteux de la filmographie de Tom Cruise (ici avec Nicole Kidman). Il brosse au contraire un portrait on ne peut plus frontal, sérieux, voire un peu sage, de la plus grande star hollywoodienne des quarante dernières années. S’appuyant aussi bien sur sa biographie hors plateau que sur les répercussions de celle-ci dans son oeuvre, il fait de cet homme monté sur ressorts un dandy pugnace, rageur et tourmenté. Une version moderne de Dorian Gray, ce héros d’Oscar Wilde peu à peu marginalisé par son apparente jeunesse éternelle qui tente en vain de contenir loin des regards ses hontes et ses fêlures… Brochier étaie cette comparaison par un montage percutant qui mêle une foule d’archives télé (où l’exaltation bouillonnante de Cruise finit par se détraquer un beau jour de 2005, sur le divan d’Oprah Winfrey) et des extraits de films évocateurs, dans lesquels cet ancien dyslexique, trimballé à travers l’Amérique au gré des galères d’une mère célibataire, juxtapose ses turpitudes à celles de son pays. Quoi de plus éloquent que cette courte glissade en slip et en musique sur le parquet ciré dans « Risky Business » (1983) pour dire son entrée fracassante dans la grande jungle libérale de l’ère Reagan ? Quoi de mieux que ces déambulations sulfureuses dans « Eyes Wide Shut » (1999) pour parachever la grande mode du thriller érotique des années Clinton, et cette course hagarde de l’acteur dans les ruines fumantes de « la Guerre des mondes » (2005) pour recracher le trauma du 11-Septembre ? Ces décombres sont aussi le crépuscule de l’âge d’or du scientologue le plus célèbre au monde, qui s’extrait aujourd’hui d’une décennie de scandales par la grâce de cascades de plus en plus périlleuses. L’illusion Dorian Gray ne tient plus qu’à un fil. D’autant que l’accueil mirifique réservé tout récemment à « Top Gun : Maverick », son dernier film, dans lequel Tom Cruise assume pour la première fois le poids des années, esquisse le début d’une possible révolution personnelle…