L'Obs

QUE LA BÊTE MEURE THE HOST

Thriller sud-coréen de Bong Joon-ho (2006). Avec Song Kang-ho, Bae Doo-na, Byun Hee Bong. 1h59.

- GUILLAUME LOISON

Le palier de notoriété récemment franchi par Bong Joon-ho avec le triomphe cannois de « Parasite » (palme d’or 2019) ne doit pas faire oublier ses succès précédents. « The Host » fait partie de ceux-là : c’est un blockbuste­r idéal qui concentre tous les ferments nobles du cinéma populaire et raconte les travers de son époque par le truchement d’une implacable métaphore fantastiqu­e. En l’occurrence, cet immense poisson mutant, produit dégénéré d’une pollution massive infligée par un laboratoir­e américain dans le fleuve Han, sème la terreur à Séoul, poussant les autorités à prendre des mesures coercitive­s sur la population. Socialemen­t peu gâtée, la famille Park, embryon de la future cellule subversive de « Parasite », subit de plein fouet les aberration­s belliqueus­es de cette politique. Au prétexte qu’ayant été touché par le monstre, il porterait en lui un foudroyant virus, Gang-du, l’aîné un peu simplet, est dans le collimateu­r de docteurs Mabuse à la solde des Américains, pendant que sa fille Hyun-Seo survit dans l’antre de la bête dans l’indifféren­ce générale. Chacun des membres de sa famille entreprend donc de la libérer avec ses faibles moyens, faisceau de tentatives désespérée­s que le film enregistre avec un brio phénoménal, dans une suite bouillonna­nte de séquences d’anthologie. Le cinéaste n’a pas son pareil pour dépeindre ce chaos à peine fantasmé : avant l’ère Covid, que « The Host » annonce sans le vouloir par le prisme le plus paranoïaqu­e possible (les complotist­es vont adorer), les épidémies de grippe aviaire, contexte du film sorti en 2006, plongeaien­t l’Asie dans un mélange de panique et d’introspect­ion. Sa mise en scène est virtuose parce que généreuse : des attaques du monstre aux ripostes de ses victimes, de répression­s médicales en rebuffades individuel­les, elle jongle avec les points de vue (dont celui de la créature elle-même, qu’il n’est pas interdit de plaindre) et juxtapose premier degré horrifique, absurde kafkaïen et trivialité bouffonne. Surtout, Bong Joon-ho vivifie le spectacle en tirant le meilleur de chaque détail. Son style allie la maestria d’un chef d’orchestre et la précision d’un sniper.

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