Au rayon inclusif
Alors que je me trémoussais au rayon frais, entraînée dans mes pires élans consuméristes par la musique tonitruante du supermarché, j’ai entendu une voix qui, depuis les hautparleurs, redonnait d’un ton solennel les horaires des « heures silencieuses » de l’enseigne : toutes les semaines, pendant soixante minutes, il n’y aurait plus aucune musique et la lumière serait tamisée dans le magasin. Les bips des scanners, le bruit du nettoyage, les sons de la manutention, les annonces, le « un agent d’entretien est attendu au rayon cosmétiques » ou « la petite Emilie attend sa maman à l’accueil » feront voeu de silence.
Il s’agissait ainsi de rendre les courses plus agréables ou vivables pour les personnes atteintes d’un trouble du spectre de l’autisme agressées par la lumière et le bruit trop puissants.
Quand j’ai découvert cette initiative, mon premier réflexe a été d’imaginer, hors du champ du handicap qui, indubitablement, la justifie pleinement, tous ses prolongements possibles : des heures adaptées pour les géants, pour les lilliputiens, pour les véganes, pour ceux qui ne supportent pas les versions remix de la « Lambada », pour ceux qui ont horreur des emballages, ceux qui ne supportent pas la vue d’un légume, les indécis chroniques, les pauvres, les ploutocrates ou les amateurs de pizza hawaïenne.
J’étais ainsi à deux doigts de continuer à faire les hypothèses les plus sarcastiques ou farfelues quand je me suis ravisée. La pente de la blague était un peu facile et trop convenue. L’idée de rendre l’ambiance des magasins moins agressive n’était pas pour me déplaire, et le souci du bien-être de tous me semblait évidemment louable, quand bien même on peut toujours douter de la totale sincérité philanthropique de la grande distribution.
Cela ne m’a pourtant pas empêchée de continuer à réfléchir à un monde qui serait totalement inclusif. Cela m’a rappelé les cartographes imaginés par Borges qui avaient réalisé une carte d’un empire de la taille de l’empire, ou, chez Lewis Carroll dans « Sylvie et Bruno », la carte d’un mile pour un mile qui n’a jamais été dépliée parce qu’elle aurait caché le soleil, ce qui conduisit les habitants à utiliser « le pays lui-même, comme sa propre carte ».
A quoi ressemblerait une société qui tiendrait totalement compte de chacun ? Serait-elle idéale ? Que resterait-il de commun? A quoi ressemblerait un corps social uniquement composé de singuarités, de susceptibilités et de sensibilités particulières? Dans quoi s’inclure si tout est inclus ?
J’étais sur le point de demander à Rousseau ou à Hannah Arendt leur avis, sans doute divergent, sur les liens entretenus de longue date entre la diffusion de l’oeuvre de Joe Dassin dans un magasin Carrefour et la volonté générale quand je suis arrivée aux caisses automatiques (je suis agoraphobe, je les aime bien). Puis j’ai pensé à autre chose. Me disant qu’on n’était pas obligé non plus de crier à la dystopie et à l’anéantissement civilisationnel dès qu’un truc changeait. En bien, de surcroît.
Dans quoi s’inclure, si tout est inclus ?