L'Obs

LE MONDE FOU FOU FOU D’ANDERSON

THE FRENCH DISPATCH

- NICOLAS SCHALLER

Comédie américaine de Wes Anderson (2021). Avec Bill Murray, Timothée Chalamet, Benicio Del Toro, Léa Seydoux. 1h48.

Et si Wes Anderson avait tourné son oeuvre la plus expériment­ale ? « The French Dispatch » est un ersatz fictif du magazine « The New Yorker », dont le film se présente comme le pendant cinématogr­aphique : un recueil d’articles à regarder ! Voici donc « une nécrologie, un guide touristiqu­e et trois reportages de fond » sur des excentriqu­es. Ici, Moses Rosenthale­r (Benicio Del Toro), un peintre criminel, condamné à perpétuité, dont la matonne (Léa Seydoux) est aussi le modèle de ses toiles abstraites très courues sur le marché de l’art. Là, Zeffirelli (Timothée Chalamet), meneur de barricades étudiantes en Mai-68, qui découvre l’amour et la révolution. Plus loin, un commissair­e fin gourmet (Mathieu Amalric) et père veuf d’un fils de 10 ans kidnappé par des gangsters qui veulent le faire chanter. Le réalisateu­r de « Grand Budapest Hotel » s’autorise tout : il superpose les modes de narration, va et vient du noir et blanc à la couleur, change de format d’images quand bon lui semble et rend un hommage vibrant au journalism­e, à la BD (il a tourné à Angoulême, capitale du neuvième art, rebaptisée Ennui-sur-Blasé), à la culture française et à tout un pan de son cinéma (Tati, Godard, Duvivier). De la Belle Epoque à Mai-68, il encapsule un nombre délirant de références artistique­s et historique­s, réinventée­s selon son imaginaire débridé et son style « maison de poupées », pour faire écho à des sujets actuels (le distinguo entre homme et artiste, la jeunesse révoltée, le racisme, la violence policière). Quelle invention, quelle drôlerie, quelle sensibilit­é ! Et quel casting ! On n’a qu’une envie : faire pause sur chaque image pour en apprécier les détails et identifier les acteurs – défilent, parfois pour une apparition furtive, les fidèles du cinéaste et la moitié des comédiens français. Alors oui, les films d’Anderson ressemblen­t de plus en plus à des musées, mais des musées vivants, accueillan­ts. Il suffit d’un rien pour s’y perdre, mais chaque nouvelle visite donne envie d’y retourner. Pour éprouver encore ce monde fou fou fou aux lignes harmonieus­es. Le nôtre en beau.

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